MESSE BASSE FUSION
JANNICK TOP
LA BASSE SUBSONIQUE


Avec un personnage d'une telle envergure, on pouvait s'attendre à ce que l'entretien ne soit pas banal. Le résultat a dépassé nos espérances.


Après de solides études de piano, violoncelle, harmonie et direction d'orchestre au lycée musical de Marseille, Jannick Top accepte un jour de remplacer un ami bassiste, lui qui n'a pourtant jamais encore joué de basse électrique. II conserve son jeu de violoncelliste en accordant sa basse de quinte en quinte, comme un violoncelle, affirmant ainsi une personnalité qui restera hors du commun.

En 1971, il forme le groupe «Troc» avec le batteur André Ceccarelli, et peu après s'immerge dans la galaxie Magma avec Christian Vander. Top restera le bassiste emblématique de cette formation qui a compté dans ses rangs l'élite de la basse française.

II compose «Ork Alarm», «Mekanik machine», «KMX...», «Soleil d'Ork», «La musique des sphères», «Glas», «Utopia viva» et forme un big band de dix-huit musiciens avec lequel il se produit au festival «Jazz Pulsations» de Nancy pour y créer sa composition la plus célèbre «De Futura» (voir transcription ci-après).

En 1977 Jannick devient le bassiste et réalisateur attitré de Michel Berger et France Gall, il assure la direction musicale de «Starmania» et de «La légende de Jimmy». Lorsque Michel Berger compose l'album Tennessee pour Johnny Hallyday, Top devient, alors également, directeur musical de ce dernier pendant près de dix ans (Bercy, Parc des Princes). II offre, également, ses services à de nombreux artistes comme Ray Charles, Eurythmics, Ennio Morricone, Herbie Hancock, Celine Dion, Jacques Dutronc, pour ne citer qu'eux.

A ce palmarès brillantissime, ajoutons la direction musicale de Notre Dame de Paris, des ballets Roland Petit, l'écriture de nombreuses musiques de films avec Serge Perathoner (Force Majeure de Pierre Jolivet), ou de génériques télé.

En parallèle à cette activité foisonnante, Jannick Top s'est toujours attaché à poursuivre des aventures soniques plus personnelles et moins consensuelles, soit avec STS soit avec Eric Le lann.

La dernière entreprise en date lnfernal Machina marque, sans doute, une étape cruciale dans l'accomplissement personnel du bassiste, qui signe ici une oeuvre colossale, synthèse magistrale entre le rock, pour la forme et l'énergie, et les musiques liturgiques et contemplatives, juxtaposant les sonorités telluriques de la basse aux volutes célestes des voix dans une savante alchimie qui n'est pas sans rappeler les grandes épopées magmaïennes.

Alors que les premières prestations de Infernal Machina, dont certaines en première partie des concerts de Magma qui fête ses 40 ans, ont permis de mesurer l'ampleur du phénomène, et que l'album au Chant du Monde arrive dans les bacs, nous avons rencontré l'immense Jannick Top pour un entretien multidimensionnel.

Comment as-tu construit cette Infernal Machina ?
C'est une idée qui mûrissait depuis longtemps, et que j'ai mis trois ans à ramener à la surface. J'ai commencé par travailler au piano en extrapolant par rapport aux ambiances, aux climats et à la formation musicale que j'envisageais. Petit à petit le grand brouillon a pris forme. Cette pièce unique, qui commence exactement comme elle finit, ce qui est pour moi très important, durait soixante-dix minutes que j'ai ramenées à cinquante-cinq. J'ai fait, exactement, ce que je voulais et donné avec cette création ma vision artistique et mon interprétation du monde.

Tu as écrit des scores ?
En totalité, y compris pour les parties de piano et de façon très précise. Dans l'idéal, nous devions être une dizaine sur scène, mais les impératifs commerciaux actuels étant ce qu'ils sont, nous évoluons plutôt en formation serrée : basse, batterie, percussions, chant, claviers et ordinateur.

Cette immersion dans ton projet personnel implique une distance par rapport au métier ?
Une chose se nourrit d'une autre. Je n'ai jamais fait de ségrégation et je m'implique toujours de la même manière. Je n'ai jamais eu honte de faire mon métier de la façon la plus noble et la plus inspirée qui soit. Ceci dit, je rentre dans une phase où je vais développer plusieurs axes dont la transmission, un domaine extrêmement important pour moi. Cela ne servirait à rien d'avoir fait tout ce que j'ai fait, si ce n'est pas pour le transmettre, par la musique, mais aussi par des ateliers du rythme où l'on va développer la conception rythmique qui est un peu le parent pauvre de notre activité musicale. II existe quantité de méthodes, mais il manque une notion de base: la sensation de la pulsation, ce qui n'a rien à voir avec la mesure ou le tempo! Le travail va se faire sous forme de séminaires, ouverts à tous les instrumentistes et pas aux seuls bassistes. On part du principe que ce que l'on perçoit n'est pas forcément ce que l'on croit. Le son est une vibration qui devient du son à partir de notre oreille. Après, tout dépend de notre interprétation de cette vibration, de cette pulsation. C'est elle qui donne tous les différents styles : jazz, rock... Selon la façon dont on se place: plus au fond, plus ternaire, très binaire, carrément sur le click... II faut accorder tout cela pour jouer ensemble. On ne se pose pas la question de prime abord, et à mon avis c'est regrettable.

Cette volonté de transmettre se traduit sur scène quand tu fais activement participer le public, en distribuant même des instruments ?
Absolument! Après, moi, j'ai l'esprit assez mathématique. Je m'intéresse aux nombres, aux chiffres, à leur signification, à la symbolique de ce qui a pu s'exprimer dans les différentes pensées philosophiques ou religieuses (voir encadré " LA GEMATRlE " ) Forcément quelques pistes inscrites dans cette démarche se traduisent dans Machina.

On a l'impression que si tu étais arrivé plus tôt, disons dans les années 50, ton accordage en quintes aurait été adopté plus largement, parce que de toute évidence, il permet un jeu plus expressif. On l'a vérifié dès que tu es arrivé avec Troc.
C'est vrai, dans un certain esprit de jeu. Au départ, j'avais essayé l'accordage standard en quartes, puis j'ai vite monté le Sol aigu en La, descendu le La en Sol et le Mi grave en Re, ce qui m'a conduit tout naturellement à Do/Sol/Re/La. Seulement, il n'y avait pas de cordes disponibles à l'époque. Ca a été toute une aventure pour les faire fabriquer. L'accordage en quintes me parait, aussi, plus logique parce que dans la suite des harmoniques, c'est la quinte qui apparaît en premier. Sur le plan instrumental, c'est moins pratique. Vu les écarts, pour jouer ne serait-ce que Do /Ré/ Mi/ Fa/ Sol/ La/ Si, on parcourt presque tout le manche. L'accordage en quartes permet de jouer plus rapidement dans un petit intervalle, par contre dans un jeu de création, avec l'accordage en quintes, on atteint tout de suite la 10ème, et on peut développer des harmonies inhabituelles.

Avec Michel Berger, notamment dans l'album Double Jeu, tu as gravé des lignes de basse fantastiques avec un son énorme. Est-ce que tu avais carte blanche pour cela ?
J'avais une liberté de création totale. À force de répéter, on trouvait ce qui tournait bien. Si ça ne plaisait pas à Michel, il le disait.

Tu as fait tout le concert Infernal Machina avec une Fender Jazz Bass Deluxe ?
J'ai, aussi, une Sadowsky mais en priorité, j'utilise la Fender. Ce qui est intéressant c'est que l'électronique de ma Deluxe est débranchée - une pièce à mettre au dossier actif/passif.
Je ne remets le préampli qu'en studio en certaines circonstances, mais sur scène pour moi, le son de la Fender passe mieux en passif.

Et pourquoi ne pas utiliser, directement, une vieille Fender passive ?
J'en ai une, mais le manche est moins costaud et vu mon accordage, ça pose problème.

Parle-nous de ton saz basse ?
C'est un instrument à huit cordes (quatre cordes doublées à l'octave), fabriqué par le luthier Hervé Prudent, et qui découle, donc, de cet instrument turc, appelé saz. Pour ma part, je l'ai accordé en quintes. Je suis en train de remettre en question ma technique de basse. Fasciné par la nature humaine et son mécanisme, une marotte que je traîne depuis longtemps, je m'essaie à une adaptation de tapping, appliquée à des phrases séquentielles dont le début serait placé sur n'importe quelle valeur de décomposition de la mesure, tout en respectant les césures de quatre temps. Au niveau du ressenti, ça crée des décalages très intéressants.

Qu'en est-il du projet avec le trompettiste Eric Le Lann ?
On travaille sur un nouvel album, même s'il faut bien l'avouer, on enregistre sans trop savoir sous quelle forme cela va se concrétiser. On assiste à la fin d'un cycle et de certains supports, la musique devenant de plus en plus virtuelle.
À ce propos, il y a un autre axe que je dois absolument développer, et pour lequel j'aurais éventuellement besoin de l'aide d'une grosse structure. Vu ce que je pense représenter et sans aucune prétention de ma part, j'ai l'envie de fédérer certains courants de musiques étranges, que je regrouperais dans une sorte de label. Cela pourrait même se traduire scéniquement par un festival ou une manifestation. Même si le divertissement est une facette tout à fait honorable de l'activité artistique, la musique n'est pas que du divertissement, et à mon goût ça penche un peu trop de ce seul côté. Même si je reconnais les qualités de ceux qui montent des projets comme Star Academy ou autres, je ne me retrouve pas vraiment dans ce qui est proposé (on s'en serait douté!).

Quelle est la partie de basse dont tu es le plus fier ?
Je dirais le riff de « De Futura ».
Sinon, j'aime beaucoup ce que l'on avait fait sur « Laissez passer les rêves » de Michel Berger, avec cette grosse basse sinueuse, qui ressemblait à une espèce de monstre du Lochness. + Laurent Cokelaere et Paolo Coccina

A NOTER
- Concert à L AUTRE CANAL à NANCY- En première partie des 40 ans de MAGMA le 28 février 2009
Jannick Top basse, violoncelle -Jim Grandcamp guitare - Jon Grandcamp batterie -Marcus Linon percussions -Aurore Crévelier piano -Thomas Enhco piano, violon -Natalia Ermilova chœurs - Fabien Colella effets sonores.
- Master classe à Louviers les 28 et 29 mars 2009

MATOS
Basses: Sadowsky, Fender Jazz Bass Deluxe, saz basse, tous accordés en Do/Sol/Re/La Ampli: Ampeg SVT avec enceinte 4"x10" Effets: octaver Boss, Enveloppe filter Electro-Harmonix, saturation Z.VEX, vibrato DOD, Jam Man

SUR LE PLAN DE L'INTERPRETATION ET DE LA DYNAMIQUE DU JEU
Il n'y a pas d'entre-coup Mi bémol sur la 2ème double du 3ème temps des mesures paires, ce qui serait I sa place logique. Cela laisse à l'interprète la possibilité de le jouer, à condition d'en supprimer un pendant le déroulement des deux mesures. L'expression de la beauté et de l'harmonie des proportions de l'édifice musical proposé passe par là... Si vous pensez que ce ne sont que des conneries... Tant mieux pour vous... Il y a autant de réalités que d'êtres, et je les respecte. En tout cas, vous comprendrez mieux pourquoi je suis si éloigné du jeu de type «concours de nombre de notes à la seconde». Cette vision pour ma part m'aura, au minimum, aidé et permis d aider l'autre à supporter cette horrible réalité qui est la nôtre, nous qui sommes cette «Infernal Machina». Cette interprétation a, déjà, été faite en Musicologie à l'université de Bourgogne. Je remercie Philippe Gonin de m'en avoir donné l'opportunité. Merci, aussi, à Bassiste Magazine de me permettre de le faire aujourd’hui, à plus grande échelle. Bien sûr, lnfernal Machina reflète, aussi, tous les aspects de cet enseignement, qui sont autant de «Fragments d'une Musique Inconnue ...» à venir.

LA GÉMATRIE SELON JANNICK
La gémàtrie est un exercice de style très prisé par le J. S. Bach théologien. Cette science que Bach pratiquait à l'excellence associe lettres nombres chiffres, et notes de musique.

L'alphabet allemand de l'époque était tel que I et J étaient confondues, ainsi que U et V.
C'est la principale clé pour déchiffrer ce que Bach a laissé dans ses oeuvres comme messages.
II est clair que sa propre signature B-A-C-H correspondant aux notes Si bémol, La, Do, Si bécarre n'est pas là par hasard. En effet, sa signature a des significations très précises sur le plan ésotérique et sur le plan de la connaissance de la machine humaine.
Selon la grille de lecture B=2 A =1 C=3 H =8 soit 48 en multipliant tous ces nombres.
D'où l'hommage ou clin d'oeil à Bach par mon riff de 48 notes: D'autre part 'il ne faut bien sûr pas oublier qu'en additionnant les lettres B A C H, cela donne le. chiffre 14 qui inversement donne 41. Ses oeuvres fourmillent de cette symbolique.
• « Le prélude et fugue en sol Majeur BWV 541 » et a la fugue BWV 856 du Clavier Bien Tempéré " exposent 14 fois leur thème principal,
• le motif du choral " Vor Deinen Thron » est composé de 41 notes.
• le 14e contrepoint de " l’Art de la Fugue " expose l'entrée de la troisième fugue 14 fois : Si bémol La, Do, Si bécarre, ce qui correspond, comme nous l'avons vu, à la signature B-A-C-H. Puis, la fugue s'arrête, restant inachevée à jamais sur sa 239e mesure (238 achevées et 1 incomplète soit en additionnant la somme =14 , exprimé par 13 + 1.., c "est édifiant!)
• La Passion selon Saint Matthieu ajoute 41 mouvements aux passages tirés de l'Evangile, et compte 14 choeurs.
Ce ne sont que quelques exemples, parmi tant d'autres... Ses ouvres nous offrent sa notion du beau comme de véritables cathédrales avec leurs proportions et leurs tracés de construction en rapport avec l'homme et son rapport à Dieu. Bach a, cependant, bien enfoui la connaissance, pour ne pas être traité d'hérétique. »

TRANSCRIPTION (DE FUTURA) ANALYSE DU RIFF

MESURES 1 ET 2
Ligne du haut dix-huit notes. Ligne du bas six fausses attaques, soit vingt-quatre impulsions.

MESURES 3 ET 4
Le mouvement continue la permutation circulaire, et produit cette sensation d'inversion. Ligne du haut dix-huit notes. Ligne du bas six fausses attaques, soit vingt-quatre impulsions. Soit au total quarante-huit événements, ce qui représente mon hommage à la signature de Bach.
Mesures 1-2-3-4 (soit 10...) de la ligne du bas
douze impulsions au total ..La 13è étant «manquante».



Bassiste Magazine N° 23 - Mars/Avril 2009

Issèhndolüß Akhazhïr

 

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