MAGMA & Jannick TOP
au Casino de Paris (12 au 14 février 2009) les quarantenaires rugissants !

40 Ans de Zeuhl Musik

Ce n'est pas tous les jours que la « musique des forces de l'univers » se retrouve célébrée dans le métro parisien ! Pour que MAGMA fasse la couverture de revues comme jazz Magazine et même Rock n' Folk, c'est qu'il se passe bien quelque chose d'exceptionnel sur Kobaïa. Pour ceux qui s’étaient pendant toutes ces années égarés hors des sentiers de la Zeuhl, plus aucun doute n'est possible : MAGMA est toujours là, et ses « hordes magnétiques » n'ont pas l'intention de seulement jouer les survivants, mais simplement les vivants, encore et toujours ! Un coffret rétrospectif et un nouveau répertoire ont suffit à MAGMA pour tirer un trait d'union entre le passé et l'avenir. Et avec son projet Infernal Machina, jannick TOP, à défaut de rejoindre les « zombies », joue les revenants en livrant sa propre vision de la musique Zeuhl.
40 ans après, il faut se rendre à l'évidence : « Zeuhl is not dead ! »



A peine a-t-on fini de se retourner sur les souvenirs en DVD des célébrations des 35 ans de MAGMA que déjà ce dernier fête ses 40 ans ! L'espace-temps sur Kobaïa n'est décidément pas tout à fait en phase avec celui de notre Terre maudite... Les changements de personnel intervenus il y a même pas un an dans le groupe et l'annonce que le répertoire serait plus tourné vers la nouveauté que vers la redite des grandes fresques passées a évidemment laissé la gent fanatique kobaïenne perplexe ou, au mieux, intriguée et curieuse. Dès lors, le renouvellement partiel de la formation et l'apport de nouvelles compositions obligeant l'auditoire à faire preuve de plus de concentration, on pouvait se douter que ce 40e anniversaire n'aurait pas la dimension événementielle festive qu'a pu avoir le 30e anniversaire, ou même le 35e. II ne fallait pas s'attendre à voir débarquer pléthore d'anciens combattants de la Zeuhl venus taper le boeuf ou le final de Mekanik avec un air à moitié concerné. Pas de témoignages filmés de gens « qui-ont--bien-connu-Christian-tiens-au-fait-qu'est-ce-qu'il-devient?... », pas de discours édifiant sur le thème « avec Kobaïa, qu'est ce qu'on s'est bien marrés, tralala... », juste de la nouvelle musique, la nouvelle étape d'une quête.

Mais tout de même, un ancien Kommandeuhr de la Zeuhl était annoncé en première partie avec son groupe : rien moins que Jannick TOP et son nouveau projet on ne peut plus zeuhlien, Infernal Machina. C'est une belle preuve de reconnaissance de la famille magmaïenne envers le bassiste, et l'opportunité pour ce dernier de jouer sa nouvelle pièce devant un public en principe averti, à défaut d'être acquis.


Jannick TOP avait déjà présenté Infernal Machina en exclusivité scénique lors des Tritonales de juin 2008, avec une formation certes moins étoffée que sur le disque, mais qui en reprenait les grandes lignes. C'est une équipe analogue que l'on a retrouvée au Casino de Paris. Outre TOP à la basse, il y avait une chanteuse/violoniste, Natalia ERMILOVA (aux accents balkaniques très prononcés) ; une pianiste, Aurore CRÉVELIER ; un guitariste, Jim GRANDCAMP ; un batteur, Jon GRANDCAMP, et un percussionniste, Marcus LINON (fils d'une certaine Stella...). Le second percussionniste et le violoniste qui avaient joué au Triton était par contre absents, mais à la place on a eu la surprise de voir débarquer un autre pilier de la Zeuhl Wortz, le chanteur et percussionniste Klaus BLASQUIZ ! Les grands esprits se sont rencontrés...

L'infernal Machina a ainsi entamé sa puissante marche tout en montée progressive, dans des conditions sonores que l'on aurait toutefois souhaité meilleures. Est-ce à cause de ces dernières que l'oeuvre, jouée en entier à l'exception de son final (Resolutio), n'a pas provoqué l'impact émotionnel et vibratoire qui était pourtant sa vocation ? L'interprétation donnée ces trois soirs a hélas fait ressortir les insuffisances de la Machine, et procuré la sensation que la longueur de la pièce avait pour effet d'en diluer et d'en disperser la force. Les boudes grondantes de la basse de TOP, l'impressionnant set de percussions de Marcus LINON, qui comprenait notamment un gros taiko (tambour japonais), le venin guitaristique de Jim GRANDCAMP, le grain vocal et la bonhomie un rien cabotine de BLASQUIZ avaient pourtant de quoi faire chauffer la Machina comme les esprits, mais le recours à des samples, notamment pour les voix, n'a pas été favorablement goûté par l'audience. Et les récurrentes citations « defuturesques » et magmaïennes ont été diversement appréciées.


II y a pourtant eu de bons moments, des sursauts telluriques comme on les attendait et des surprises inédites, par exemple celle du duo vocal rugissant entre Klaus BLASQUIZ et Natalia ERMILOVA, mais hélas un peu noyé dans la mélasse sonore. Pour qui avait déjà assisté aux performances au Triton, celles du Casino de Paris ont paru amoindrir et révélé les limites d'infernal Machina. Il est cependant vrai que la pièce n'en est encore qu'à ses baptêmes du feu scéniques et qu'il lui faudrait d'autres opportunités de s'aguerrir et de se raffermir davantage.

Mais au moins, Jannick TOP a pu se rappeler au bon souvenir du public zeuhl et magmaïen. La marche de la reconnaissance d'infernal Machina ne fait au fond que commencer...

Après une pause et sans plus d'ambages, MAGMA a démarré par un premier morceau inédit d'une dizaine de minutes, apparemment incomplet, cyclique et hypnotique à souhait, sur lequel le nouveau chanteur, Hervé AKNIN, a pu se mettre un peu en avant. Et surprise, le son fut plutôt bon ! (Encore que tout dépend de la place qu'on avait dans la salle...)


Après cette prometteuse mise en bouche, le groupe a enchaîné avec une autre pièce inédite structurée en trois parties et qui atteignait presque la demi-heure. De par sa dimension et sa richesse mélodique et ses cassures, cet opus est appelé à devenir une future pierre de touche du répertoire magmaïen. Son titre, Félicité Thösz, en dit long sur son orientation globale : sans être sereine ni contemplative, cette pièce, baignée de swing et d'apesanteur, exhale des fragrances de lumière plutôt que des remugles ténébreux. Et surtout, elle synthétise différents ingrédients et couleurs de l'univers vandérien : on y trouve des échos de KA., de Wurdah Itah, des effluves soul, des accents slaves, mais aussi d'une certaine manière des climats proches de To Love ou même d'A tous !es enfants (avec notamment un mantra chanté en français...). Secouez le tout, et vous obtenez une pièce captivante qui propulse MAGMA à un nouveau niveau de maturité. Ajoutez à cela des mélodies accrocheuses mais pas mielleuses, un groove bien balancé, et des passages solistes mémorables : le convaincant chorus de Rhodes de Bruno RUDER dans la deuxième partie, le somptueux chant soliste de Christian VANDER dans la troisième partie, la précision, la finesse et la vigueur de son jeu de batterie, et surtout le chant radieux de Stella VANDER sur la première partie. Et ce ne sera pas la seule occasion de briller pour Stella, puisqu'elle fera également une autre performance remarquable dans le final d'Ëmëhntëht-Rê. Sa performance sur ce répertoire des 40 ans a été indéniablement souveraine.


Ëmëhntëht-Rê, parlons-en : cet opus aussi majeur que mastoc, atteignant dorénavant presque une heure, est devenu le plat de résistance des concerts du groupe. Et de la résistance, cette pièce en créé aussi dans les esprits des amateurs. Sa première partie, qui enchaîne plusieurs thèmes déjà connus (Ëmëhntëht-Rê Part 1 & 2, Rindoh, Hhai, Zombies), fait désormais l'unanimité (encore que la transition de Hhaï à Zombies, aux climats fort opposés, reste toujours un peu cavalière), la seconde partie, inédite et incorporant des atmosphères plus abstraites, que l'on croirait échappées des Cygnes et les Corbeaux, demande manifestement un temps de digestion plus long. Le final, Funerarium Kanht, nous plonge notamment dans un horizon de ténèbres sentencieuses, contrastant radicalement avec le climat des premiers morceaux, s'achevant sur une glaçante procession de gongs... Et « Zêbëhn » qui a cru bon d'y ajouter un ultime râle zombiesque limite caricaturé... Mais quoi qu'il en soit, Ëmëhntëht-Rê a de moins en moins l'allure d'une « suite compilée » et a gagné en compacité et en unité, même si sa progression reste encore un peu déconcertante. Ce n'est de toute façon pas le genre d'oeuvre que l'on assimile en deux temps trois mouvements. Et l'on ne sait toujours pas exactement quand on aura le loisir de l'écouter sur disque...

Le rappel, eu égard au contexte événementiel de la tournée, devait ménager une surprise... qui n'en fut pas vraiment une puisqu'on se doutait bien que Jannick TOP allait profiter de l'occasion pour rejouer avec la famille MAGMA. Mais c'est avec tout son groupe qu'il est revenu ! Le choix du morceau était tout trouvé, et nous avons eu droit à une version orchestrale de De Futura, jouée à quinze (voire à seize quand Isabelle FEUILLEBOIS revenait subrepticement gonfler la section choriste)... soit presque autant que la première fois que cette pièce fut jouée en 1975 par l'UTOPIC SPORADIC ORCHESTRA !

Avec trois batteries, deux guitares, deux daviers et deux basses, la mise en place n'était pas évidente mais pareille configuration en impose tant sur le plan scénique que sur le plan sonore, et VANDER n'a pas caché sa jubilation de rejouer avec son ancien compagnon d'armes.

Après une telle joute titanesque, les esprits ont été calmés avec cette imparable Ballade qui clôt depuis quelque temps les concerts de MAGMA, nous immergeant dans une contemplation teintée de mélancolie, avec un Christian VANDER plus émouvant que jamais au chant.

Juste avant la Ballade, le public s'est mis à chantonner un joyeux anniversaire de circonstance, mais après avoir écouté les nouvelles propositions musicales de MAGMA, on avait aussi envie de lui crier « Longue Vie » ! Et que l'étincelle du cri puisse perdurer...

Réalisé par: Stéphane Fougère - Photos (au Festival Les Tritonales aux Lilas, au Festi'val De Marne à Champigny et au Casino de Paris) : Sylvie Hamon & Stéphane Fougère

Traverses N° 25 - Mars 2009

Issèhndolüß Akhazhïr

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