MAGMA
BOUILLON DE CULTURE
Légende particulièrement vivante ces dernières années, Magma revient avec un « nouvel » album constitué de compositions trentenaires ! C'est avant le dernier des quatre concerts parisiens intronisant Ëmëhntëhtt-Rê que Christian Vander, le batteur historique du groupe, s'est prêté au jeu des confidences dans la loge de l'Alhambra, épaulé par la chanteuse Isabelle Feuillebois. Et ce, juste après avoir écourté les répétitions afin de nous accorder l'entretien qui suit : respect, Magma !
Rock Hard : Avant de parler de Ëmëhntëhtt-Rê, revenons un peu en arrière. Quels sont les éléments déterminants qui ont contribué au retour du groupe dans les années 2000 ?
Christian Vander : Nous nous étions absentés quelques temps, mais, comme nous l'avons toujours dit, nous étions toujours prêts à revenir. Je n'ai jamais arrêté la musique, mais il y a eu un manque de propositions concernant Magma. Et c'est à l'initiative d'un ami, Bernard Evin, qui est tourneur, que nous avons pu organiser ce retour. Il m'a un jour dit : « si je te propose une tournée d'une vingtaine de dates, est- ce que tu serais prêt à réactiver Magma ? ». Je lui ai répondu : « mais sans aucun problème ! ». Et il l'a fait ! Ce qui s'est passé, c'est que moi, je n'étais pas prêt ! (rires) Je n'avais pas le groupe et j'ai donc rassemblé quelques amis qui étaient proches de ces musiques, en compagnie desquels j'ai très vite monté un répertoire. C'est dans le temps que cette formation s'est affinée. Mais je n'ai jamais stoppé Magma : durant ces années d'arrêt, nous avons travaillé avec Offering, qui est un groupe un peu différent, dans un registre plus acoustique.Avec le recul, considères-tu que K.A. (2004) a été l'album de la résurrection de Magma tel que tu l'imaginais ?
En fait, c'est, tout comme Emëhntëhtt-Rê, un album qui était resté dans les cartons. Nous avions joué ce morceau entre 1972 et 1973 avec Jannick Top (Ndlr : bassiste historique du groupe), au cours de trois concerts seulement. A l'époque, je suis directement passé à l'enregistrement de Köhntarkösz (Ndlr : quatrième album studio du groupe, sorti en 1974), alors même que K.A. était composé depuis 1971. Ce n'était pas une question d'envie, juste le fait que les difficultés d'enregistrer en studio et la volonté des maisons de disques ne nous ont pas permis de réaliser ces deux albums à l'époque. Nous avons donc opté pour Köhntarkösz et créé cette sorte de désordre chronologique dans notre discographie. Ce n'est donc que lors de notre retour que nous avons eu l'opportunité d'enregistrer K.A. et de remettre les pendules à l'heure. K.A. est en fait la jeunesse (et non la genèse) de Köhntarkösz (Ndlr : le concept de ces deux albums étant de décrire la vie d'un personnage nommé Köhntarkösz). Alors, après l'avoir terminé, il était logique de passer à Ëmëhntëhtt-Rê.En effet : Ëmëhntëhtt-Ré est, tout comme K.A., composé de matériel ayant plus de trente ans d'âge...
Cet album avait été composé à partir 1975, mais je n'avais pas trouvé le groupe me permettant de le jouer lorsque je l'ai achevé, en 1977 : c'était donc à nouveau l'occasion de le ressortir des cartons. Depuis des années, on me demandait ce que devenait Ëmëhntëhtt-Rê. Le fait d'avoir enregistré K.A. a sans aucun doute permis de passer à Ëmëhntëhtt-Rê et de mettre un terme à toute cette histoire, cette trilogie. Les parties basiques du titre n'ont pas bougé. Nous avons seulement affiné le morceau « brute fonte » au cours de ces dernières années.
En plein enregistrement de ce dernier, Magma a subi un bouleversement de l'équipe en place de longue date, avec les départs d'Emmanuel Borghi (claviers) et d'Antoine et Himiko Paganotti (chant) : pourquoi ces départs et comment les as-tu gérés ?
Ca n'a pas été simple, mais cela aurait pu être encore plus compliqué. Emmanuel Borghi et moi avons travaillé une vingtaine d'années ensemble et peut-être n'avions -nous plus rien à nous dire et n'osions-nous pas couper les liens, un peu comme dans une famille. Finalement, nous avons peut-être passé nos cinq dernières années ensemble à stagner. Le groupe n'avançait plus, et ce départ a finalement été une bonne chose, d'autant que, très rapidement, nous avons rencontré un pianiste, Bruno Ruder (Ndlr : qui remplace désormais Emmanuel Borghi), grâce à Benoît Alziary (Ndlr : vibraphoniste du groupe). En deux jours, il a réussi à être prêt pour la série de concerts que Magma devait donner : il était hors de question pour nous d'annuler ces concerts, et Bruno est arrivé au moment où nous commencions à être dans une situation dramatique. De même pour Hervé Aknin, qui remplace nos deux anciens chanteurs, Antoine et Himiko Paganotti. Il a une très belle voix et, jour après jour, il prend de plus en plus d'importance et devient essentiel au groupe.
Le nouvel album inclut un DVD qui montre les phases d'enregistrement et, en particulier, tes interventions sur les prises du groupe : n'y a-t-il pas eu de réticences à laisser une camera pénétrer le studio, du fait de la discrétion habituelle du groupe ?
J'ai sollicité l'avis de quelques copains, qui m'ont dit qu'il serait intéressant de voir la manière dont nous travaillons de l'intérieur. On peut juste regretter l'absence des séquences sur les voix sur ce DVD, mais nous n'avions pas de document utilisable...Isabelle Feuillebois : C'est surtout que les séances d'enregistrement des parties vocales se sont étalées sur des mois et des mois, voire des années, et nous n'avions pas toujours de caméra sous la main parce que les séances se décidaient à la dernière minute et il fallait louer une, voire deux caméras. Nous avons pu filmer quelques-unes de ces sessions, mais il se trouve que c'était juste avant le départ d'Antoine et Himiko. Cela ne se passant pas super bien, nous n'avons pas eu envie de montrer ces tensions.
Christian Vander : Je crois que ce DVD montre notre travail quotidien sans forcément s'appesantir sur le drames ou les joies qui font parti d'un enregistrement. Mais en même temps, ce n'est pas Voici ! (rires) Et finalement, c'est bien de laisser une part de mystère, tout en montrant ce qu'a été notre travail en studio, et notamment le fait que nous somme assez pointilleux : ça, c'est certain J'avais d'ailleurs déjà pensé à faire entrer une caméra lors d'un processus d'enregistrement pour Les Signes Et Les Corbeaux (Ndlr : album solo de Christian Vander sorti en 2001), et il est dommage que cela ne ce soit pas fait : il y a eu des moment tellement extraordinaires en studio au cours de ces sessions. On peu croire que cette partie de notre travail est plus froide, plus calculée, mais il a toujours des moments qu'on attend pas, des notes qu'on anticipait d'un certaine manière et qui, une foi jouées, vont bien au-delà ce qu'on imaginait.
Isabelle Feuillebois : J'ajouterai que, parmi notre public, nous avons toujours eu de jeunes musicien amateurs, et nous avons pensé que cela pouvait non seulement intéresser ces derniers, mais que c'était aussi un moyen de transmettre des choses.
Est-ce qu'un nouveau DVD live sera filmé lors de la tournée en cours et à venir ?
Christian Vander : Oui. J'aimerai: reprendre l'exemple de KA., qui a été filmé lors de notre tourné au Japon (Ndlr : Live In Tokyo, sorti en 2009). Je trouve que cet enregistrement est un très bon complément de la version studio et permet d'avoir une vision globale de notre musique. En concert, il y a plus d'énergie, plus de rythmique, forcément. Aussi serait-il intéressant de faire la même chose pour Ëmëhntëhtt-Rê, d'autant que 1e morceau commence à très bien tourner au fil des concerts. Maintenant, quand, je l'ignore encore... A suivre !Maintenant que la second trilogie est clôturée, quelle suit discographique pour Magma ?
I1 y a beaucoup de choses en cours. De nouvelles compositions sont en chantier, et d'ailleurs, ce soir, nous allons jouer deux nouveaux thèmes . L'un s'intitule « Félicité Thosz », alors que le second n'a pas encore de titre. Ces deux nouveaux morceaux en appelleront d'autres. Sinon, pour en finir avec les années 70, manque toujours à l'appel le fameux « Zëss », mais c'est un tel travail... Et de toute façon, c'est un morceau qui n'a pas de temps. Alors, que nous l'enregistrions aujourd'hui, dans quelques mois, ou plus tard n'a pas grande d'importance, mais une chose est certaine : cela nous demandera un gros boulot: Au sortir de plusieurs années à enregistrer Ëmëhntëhtt-Rê, je crois que nous avons envie de nous rafraîchir : « Félicité Thosz », par exemple, a été composé après Les Signes Et Les Corbeaux et m'a permis de me détendre. J'avais besoin d'un bol d'air frais en sortant du studio, et je crois que cela s'entend. On retrouve, sur ce nouveau titre, des ambiances qui me replongent dans les premières années de Magma, l'essence de Magma qui s'est juste transformée. Et à l'inverse, il y a des nouveaux thèmes qui me rappellent davantage « Funëhrarïum Kanht (Ndlr : présent sur Ëmëhntëhtt-Rê) ou, en tout cas, qui prolongent ce morceau.Un morceau qui clôt Ëmëhntëhtt-Rê de manière pour le moins sombre !
Oui, c'est un chant... funéraire ! (rires) Mais l'histoire ne s'arrête pas là pour autant, puisque la vie de Köhntarkösz continue et continuera !Quels albums-clés de Magma conseillerais-tu aux novices plus jeunes qui voudraient découvrir l'univers du groupe ?
Isabelle Feuillebois : Ëmëhntëhtt Rê, bien sûr ! (rires)
Christian Vander : Oui, bien sûr ! Je n'aurais pas su répondre à cette question auparavant, car elle est très difficile. Les gens sont arrivés à Magma de manières très différentes. Par exemple, quand nous avons sorti Merci (Ndlr : en 1984, un disque « d'ouverture » pour le groupe), pour les fans, les purs et durs, ce n'était pas du Magma. Je cherche toujours à savoir pourquoi, mais toujours est-il que beaucoup de gens me disent nous avoir découvert grâce à cet album. C'est bien la preuve que Merci les a poussés à découvrir le reste de notre discographie et que c'était donc bien Magma. Dans un registre plus classique, il est assez simple de citer Mekanik Destruktïw Kommandôh (1973), mais Attahk (78) peut aussi s'avérer intéressant. J'entends souvent dire par des fans qu'Attahk est leur disque préféré de Magma. C'était les prémisses d'Offering, nous rentrions un peu plus dans les musiques improvisées, puisque cet album renfermait beaucoup d'improvisations autour de thèmes déjà composés, ce qui constituait à l'époque une nouvelle manière de travailler pour nous et qui nous a amenés à Offering.
Isabelle Feuillebois : A titre personnel, je trouve que, sur Ëmëhntëhtt-Rê, on retrouve vraiment toutes les couleurs de Magma !
Christian Vander : Oui, c'est vrai, il y a beaucoup de choses sur cet album. A l'époque où j'ai composé ce morceau, je sentais qu'il allait se passer quelque chose d'autre après et finalement, c'est ce titre ancien qui incarne notre musique d'aujourd'hui. Cette musique était là à l'époque, mais nous n'avons pas pu la développer : il fallait continuer à la travailler et, peut être, à rentrer dans des musiques plus improvisées avant d’achever ce morceau. Il fallait se ressourcer; et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle, lorsque Magma a été mis en sommeil, je suis retourné dans des clubs de jazz afin de réécouter et de retravailler ce musiques-là. J'ai aussi eu l'occasion de me positionner en tant que chanteur : plutôt que de ne chanter qu'à la maison, j'ai voulu le faire sur une scène comme un chanteur et non comme un batteur. C'est vraiment ce que m'a appris Offering.
Au final, es-tu d'accord si l'on te dit que l’œuvre de Magma consiste un peu en la recherche d'un esperanto musical ?
Je crois que l'idée, c'est de parler à son public. Le gens qui écoutent un opéra en russe n'en comprennent pas les paroles, mais 1a musique leur parle, et c'est un peu la même chose pour nous. On sent la musique : si on écoute un saxophoniste, on comprend ce qu'il veut nous dire. Quand j'écoute John Coltrane, j'ai toujours l'impression d'entendre une voix. Cela semble dénué de paroles, et pourtant, Coltrane me disait tout, il me racontait sa vie avec son saxophone.Propos recueillis par Djul - Photos Vanessa Girth - Interview réalisée le 6 décembre 2009 à Paris
RockHard N° 95 - Janvier 2010Note du Pressbook : L'auteur semble confondre Isabelle Feuillebois et Stella Vander.
Issèhndolüß Akhazhïr