Bernard Paganotti est sans doute l'un des plus grands bassistes français, à l'instar d'un Jannick Top, avec qui il partage beaucoup de points communs, comme notamment l'appartenance à Magma et l'implication dans la variété française au plus haut niveau. Bassiste attitré de Francis Cabrel, il a gravé des lignes légendaires avec Jacques Higelin (album Champagne), accompagné Johnny Hallyday, mais s'est aussi attelé à des projets plus personnels, dans lesquels évidemment, la basse sous toutes ses formes est reine,
Après un très bref passage parla mandoline (cadeau de son grand-père italien) et la guitare sèche, Bernard Paganotti s'achète une basse Eko. Le batteur de son premier groupe Chineese, rebaptisé ensuite Cruciferius Lobonz n'est autre qu'un certain Christian Vander. Après le départ de ce dernier, Cruciferius enregistre un album et se produit en première partie de Vanilla Fudge à l'Olympia. « Paga » sévit alors avec une Gretsch électroacoustique. Lorsque Jannick Top quitte Magma en 1974, Christian Vander fait naturellement appel à Paganotti pour lui succéder. Après un passage remarqué dans l'inclassable formation, Bernard Paganotti monte le groupe Weidorje, puis s'attaque à son premier album solo, Paga, qui lui demandera quatre ans d'efforts: « Ça avait pris un temps fou parce que je l'avais fait à Hérouville dans les heures creuses du studio et selon les disponibilités des musiciens. » Le Paga Group constitué entre autres de Bertrand Lajudie, Klaus Blasquiz et Claude Salmieri sera crédité des albums Haunted (1988) et Gnosis (1993), alors que Bernard, qui a depuis longtemps remisé sa Gretsch pour se faire construire des basses quatre, cinq et six-cordes frettées et fretless sur mesure par les frères Jacobacci (voir Bassiste Mag. n°31), devient l'un des bassistes français les plus demandés, apparaissant sur quantité d'albums (Vanessa Paradis, Mylène Fermer, Elsa, Véronique Sanson, Bill Deraime...) tout en restant le bassiste attitré de Francis Cabrel.
En ce moment, tu tournes donc intensivement avec les Gipsy Kings ?
En 2006, on m'a appelé pour faire des basses sur l'album Pasajero et pendant les séances, les Gipsy m'ont demandé si je voulais partir en tournée avec eux. Depuis quatre ans, on n'arrête pas de voyager dans le monde entier, et notamment aux U.S.A., où ce sont d'énormes stars. Ils pourraient faire 200 concerts par an là-bas, mais comme ce ne sont pas des adeptes des cadences infernales, on en fait une cinquantaine Outre-Atlantique. On joue également en Angleterre, en Australie, en Espagne, en Allemagne... Partout sauf en France, ou alors dans le cadre de gros festivals comme les Vieilles Charrues! C'est toujours une ambiance incroyable. Dès qu'on commence à jouer tout le monde est debout et se met à danser, comme récemment au Radio City Hall à New York. Je me régale, d'autant qu'il y dans ce groupe deux personnages extraordinaires, Tonino Bailardo et Nicolas Reyes, qui sont des artistes exceptionnels, issus des deux grandes familles qui ont donné naissance au mouvement. II y a quatre ans que je joue avec eux et pourtant, sans exagérer, au moins trois ou quatre fois par soir, ils me donnent le frisson. Je me demande comment ils arrivent à jouer comme ça. Ils prennent des risques insensés et ça passe toujours ! J'ai beaucoup de respect pour leur conception de la musique, complètement instinctive, sans calcul.À part la scène, des projets avec les Gipsy ?
II y a un album en prévision, mais comme ils veulent écrire les chansons eux-mêmes ça prend du temps. Ce n'est pas facile, parce qu'il faut bien avouer que leur succès doit beaucoup aux reprises de grands standards (« Bambolero », « Jobi Joba », « Volare »...) et qu'ils veulent justement évoluer par rapport à cette espèce de rente de situation.
Quels instruments utilises-tu dans cette formation ?
Ça dépend un peu des périodes. Soit ma Sadowsky cinq-cordes avec deux micros Bartolini simple bobinage, parce que c'est assez passe-partout, soit la fretless Jacobacci et la Takamine B 10. Je ne peux pas utiliser la contrebasse, le volume sonore sur scène est beaucoup trop important. C'est aussi fort qu'avec Johnny Hallyday (rires)! Pour l'amplification je me sers d'un Eden WT800 ou d'un Ampeg SVT, mais prochainement je vais passer à un système TC electronic. J'ai déjà eu l'occasion d'en essayer un avec Francis Cabrel et j'aime bien sa conception. Je le combine même parfois avec un baffle SVT et avec le simulateur de lampes, j'obtiens un son vraiment chaleureux.
Du coup, tes projets personnels sont un peu en stand-by ?
Un peu au ralenti, en effet. Entre Francis et les Gipsy, je n'ai pas vraiment eu le temps de m'y consacrer. Disons que j'ai de quoi faire un demi petit album (rires). J'espère avoir de quoi finaliser un projet avant fin 2010.
Comment procèdes-tu ?
J'ai toujours de quoi enregistrer avec moi, que ce soit sur la route, à l'hôtel où j'emprunte l'une des guitares (et il y a ce qu'il faut !)... Je peux partir d'un son, il suffit que quelque chose m'inspire. Je n'ai pas vraiment de recette. Par exemple, dans l'album Haunted de Paga, j'étais parti d'un riff de Stick Chapman que j'avais envoyé à Ronnie Bird, qui avait fait le texte, et ça avait donné « Memorial ».Tu joues toujours du Stick ?
Pas suffisamment, malheureusement. Pendant un moment, en plus de la basse électrique, j'ai joué beaucoup de contrebasse et il est difficile de se consacrer à plusieurs instruments en parallèle. J'ai une anecdote à ce sujet: au tout début, j'étais dans mon premier groupe, les Chineese, avec Christian Vander, et je venais de racheter la contrebasse du frère du guitariste. Je l'emmène au restaurant de mes parents à Montreuil (93) et je la pose dans l'arrière-salle. Je reviens dans la soirée, la contrebasse avait explosé : ma tante l'avait faite tomber! L'horreur ! Je n'avais même pas joué une note dessus ! Je me suis dit : "Tant pis, c'est le destin, je ne jouerai pas de contrebasse !" Si ça se trouve, je serai devenu contrebassiste ! Je regrette un peu de n'avoir découvert que sur le tard cet instrument et les merveilleuses sensations qu'il procure.Quelle sera la couleur de ton nouvel album ?
J'essaie de ne pas me répéter et c'est l'une des raisons qui rend l'exercice difficile, parce qu'on a tendance à revenir toujours dans les mêmes mouvances et ce n'est pas évident de s'en sortir. II faut néanmoins garder une continuité. Mon identité est là quoi qu'il arrive, avec ce goût pour les cellules répétitives, mais je dois éviter de retomber dans les mêmes schémas et trouver des trames différentes.
Récemment, il y a eu plusieurs rétrospectives pour célébrer les 40 ans de Magma, mais tu n'y as pas participé. Pour quelles raisons ?
Ils me l'ont demandé, mais hélas je n'étais pas disponible, j'étais en tournée avec les Gipsy. C'est dommage, j'aurais bien aimé y être. Avec Jannick, ça aurait été formidable! On a fait un concert à Nancy avec des anciens comme Klaus Blasquiz ou Didier Lockvvood et il a fallu que je réapprenne des morceaux comme « Kôhntarkôsz », « Mekanïk Destruktïw Kommandôh » ou « De Futura », que je n'avais pas joués depuis 25 ans : j'ai eu des sueurs (rires)! Mais c'était un grand moment, d'autant qu'il y avait mes enfants Himiko et Antoine qui chantaient. Un beau cadeau ! Tiens à propos de mes enfants, ils ont monté le groupe Slug avec Emmanuel Borghi et John Trap. Leur musique mérite qu'on y jette une oreille (www.myspace. com/trap-paganottiborghi).
On ne peut éviter le « gros dossier » Cabrel...
L'élégance et la discrétion du personnage font qu'on en viendrait presqu'à l'oublier (rires). Ça fait maintenant 23 ans que je joue avec lui et c'est toujours un régal. Normalement je devais arrêter les Gipsy, parce Francis reste ma priorité absolue. II s'est trouvé que j'avais un break du côté de Francis, pendant que les Gipsy faisaient une petite tournée aux U.S.A. et j'ai pu donc continuer avec les eux, alors qu'officiellement, j'avais rendu mon tablier. Avec Francis, on a fait une superbe tournée avec Denis Benarrosh à la batterie, Éric Sauviat à la guitare et Freddy Koella, un musicien exceptionnel que j'ai découvert à cette occasion. Même dans ce format chanson assez rigide, il ne joue jamais deux fois la même chose, ni ne démarre jamais un solo de la même manière.
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Quel matériel pour Cabrel ?
La Sadowsky sur quelques chansons, la six-cordes Jacobacci et après, je dois choisir, à cause du transport, entre une Ampeg Baby Bass rachetée à Laurent Vernerey, la contrebasse, et plus anecdotiquement une Guild Ashbory montée avec des cordes nylon. Sinon, je me ressers de la Gretsch avec le micro d'origine, que j'avais délaissée ne trouvant pas de cordes. Je l'ai fait remettre en état par Jacobacci dans les années 90 et je la monte avec des cordes filées plat. Côté ampli en studio, on a souvent combiné deux pistes: une avec l'Ampeg SVT et l'autre en prise directe. Sur scène, le très pratique TC electronic me permet de mémoriser des sons différents pour chaque basse et pour la contrebasse.Des projets immédiats ?
II y toujours pas mal de temps entre chaque album et là, je crois que ce sera encore un peu plus long que d'habitude. Francis n'a plus rien à prouver, sa carrière parle pour lui et je crois que maintenant, il a envie de profiter un peu de sa famille, ce que je respecte.
Paolo Coccina
Bassiste N° 32 – Septembre/Octobre 2010
Issèhndolüß Akhazhïr