MAGMA - CHRISTIAN VANDER
Depuis cinq ans, Magma est presque redevenu un groupe tendance dans les médias et les milieux artistiques undergrounds. Son créateur, et maître suprême de l'ordre kobaien, Christian Vander, accède enfin à une reconnaissance universelle. Le batteur appose sa griffe sur un nouvel opus, Ëmëhntëhtt-Rê. Prêts pour un voyage sur la planète Kobaïa?
Quarante et un an après sa naissance, Magma continue d'exercer une fascination magnétique sur ses adeptes, qu'ils soient anciens ou nouveaux, issus du rock, du jazz, ou même de la musique classique contemporaine. Le public de Christian Vander évolue et se régénère. II est, d'ailleurs, monnaie courante d'apercevoir, dans les premiers rangs des concerts, de jeunes fans ne dépassant pas la vingtaine. L'alchimiste peaufine son art occulte jusqu'à la perfection, et il semble difficile, au milieu de l'océan de sons pervertis dans lequel baignent nos oreilles à longueur de journées, de pouvoir dénicher une musique aussi pure et unique. Magma est un joyau magnifiquement sculpté, dont les multiples facettes réfléchissent sur nos âmes souillées une lumière miséricordieuse. Ëmëhntëhtt Rê, le nouvel opus des chevaliers de la zeuhl, vient clore une trilogie, débutée en 1974 avec Kôhntarkösz, et poursuivie avec K.A en 2005. Le batteur, toujours aussi ténébreux, nous a révélé les trames secrètes de cette nouvelle œuvre.
On retrouve dans cet album des thèmes qui existaient déjà sous d'autres formes, tels que « Hhai » ou « Zombies ». Pourquoi ?
Tout simplement parce qu'ils faisaient tous partie intégrante du morceau original "Ëmëhntëhtt Rê", mais pour des raisons pratiques, et aussi, je l'avoue, par facilité, nous les avions présentés individuellement à l'époque. Désormais, le thème est restitué dans son intégralité, et dans l'ordre.Mais, qu'est-ce qui t'a empêché de le monter, ainsi, à l'époque ?
J'ai composé « Ëmëhntëhtt Rê » entre 75 et 78, et à ce moment-là, je n'avais pas sous la main la formation qu'il fallait pour réussir un tel
challenge. Donc, on en retrouve quelques fragments ici et là: « Rinde » sur Attahk, «Zombies» sur Üdü Wüdü. Mais, même sur ces anciens albums, je précisais, à chaque fois, qu'il s'agissait d'extraits d'«Ëmëhntëhtt Rê ». Et puis, je crois que les gens n'étaient, tout simplement pas, dans cette ambiance-là à l'époque.
Ton son de batterie est, plutôt, en retrait sur l'album...
Oui, je n'avais pas une très bonne batterie en studio, et globalement, les réglages n'étaient pas très bons non plus. Mon idée initiale était de proposer une sorte de tapis de sons pour servir la musique, et non pas pour que l'on écoute la batterie. En live, les reliefs de ce que je joue ressortent, certainement, beaucoup plus.Avais-tu une Gretsch des 60's, comme à ton habitude ?
Oui, mais bon, en définitive ce n'est pas très important. Le problème, pour moi, vient surtout des peaux. On ne trouve plus de peaux Gretsch Permatone, et les constructeurs actuels ne proposent aucun équivalent. Elles donnent pourtant un son extraordinaire, et font la moitié du boulot. C'est quelque chose que l'on a perdu, et je le déplore. N'étant pas féru de technologie, je ne comprends pas la particularité des Permatone, qui ne sont que des bouts de plastique. Mystère! Dans le temps, lorsque je n'en avais plus, je montais des peaux blanches sablées qui faisait bien l'affaire, mais même ces dernières ne sont plus aussi bonnes.N'y a-t-il pas, là-dedans, une part de nostalgie ?
Non, rien du tout ! Ecoute, c'est très simple : j'ai un kit monté avec ces vieilles peaux Gretsch à la maison, et je défie quiconque de m'amener une batterie de cette époque montée avec des peaux modernes et qui sonnent aussi bien. Je pense qu'un enfant de trois ans pourrait faire la différence. Aujourd'hui, je n'en ai plus, et si j'avais su cela à !'époque, j'en aurais acheté une cargaison. Lorsque je dis que je ne trouve plus mon bonheur malgré toutes les peaux qui existent, on se fout de moi. Pourtant, les gars, si vous saviez!On a l'impression que le fait d'être perçu comme un héros de la batterie te met mal à l’aise…
Oui, cela me gêne. Parce que je vois la musique comme un ensemble. Mon approche est de trouver quelque chose qui sonne à l'intérieur du tout, de ce qui est définitif. J'essaie de m'ajouter à la musique sans pour autant la salir. Je n'ai pas choisi le bon instrument au départ (rires).
Comment peux-tu dire une chose pareille ?
Je m'explique : j'adore la batterie qui est un instrument extraordinaire. Dans le contexte du jazz, je ne me verrais pas jouer d'autre chose. Par contre, pour Magma, c'est plus ambigu. J'aimerais, parfois, me mettre au piano, instrument avec lequel je compose, ou bien chanter. Mais, on ne peut pas exceller dans tout.
Avez-vous enregistré live dans la même pièce ?
Hélas, non ! A cause de la configuration du studio, nous avons dû enregistrer les instruments séparément: le piano d'abord, et puis la basse, la batterie, la guitare... Bref, ce n'est pas la méthode de travail que je préfère, et il y a eu des problèmes. Certains passages avaient été joués rubato, très interprétés, et il a fallu créer un décompte à l'intérieur de ceux- ci pour que les attaques soient justes, alors que cette musique n'est pas quantifiable par nature. J'aurais aimé me filmer en dirigeant ces passages. Ensuite, il fallait suivre le film pour avoir les bons départs. Mais, cela aurait été compliqué de tout synchroniser.Te sers-tu parfois de l’informatique pour composer ?
Non, et de toute façon, je pense que les ordinateurs ne changent pas le fond du problème. C'est toujours l'expression musicale qui prime. Ce n'est pas parce que l'on compose avec l'informatique que l'on aura plus d'inspiration. J'ai des idées mélodiques, des rythmes, ou des couleurs harmoniques qui me traversent l'esprit, même lorsque je suis au volant de ma voiture. Je présente les parties sous une forme basique aux autres musiciens, et puis nous faisons notre sauce tous ensemble, ce qui marche très bien.Serais-tu réticent envers les évolutions technologiques ?
Disons que l'on peut toujours miser sur des effets de production pour avoir un gros son de tuerie. Mais, généralement, en réécoutant le disque quelques années plus tard, les gens sont morts de rire. Les choses se démodent très vite. En revanche, ce qui reste, c'est la puissance mélodique que l'on peut ressentir en écoutant un morceau. Ensuite, libre à chacun de traduire cette force à sa façon, mais il faut cette base. J'ai entendu tellement de gars me dire: «Ce son là, c'est l'avenir, le top du top». Six mois après, ils avaient honte de faire écouter leur propre morceau.
Vous êtes aussi tombés dans ce piège avec Magma dans les 80's. Les sons de clavier sur le live à Bobino sont difficiles à écouter, aujourd'hui...
Oui, ce n'est pas faux. Mais, à chaque fois, que cela s'est produit, c'est parce que je cédais à une pression collective. Et puis, il y avait des raisons purement matérielles. Certains sons artificiels de cordes ou de cuivres auraient pu remplir l'espace de vingt musiciens supplémentaires, mais nous ne pouvions pas nous les payer.
Ne pourrais-tu pas envisager de faire un disque spécial utilisant des sons dans l'air du temps ?
Tout est possible! Mais, si je le faisais, je m'arrangerais pour qu'un tel album ait une raison d'être, qu'il contienne quelque chose qui n'existe pas ailleurs, et qui ne bougera pas. C'est ça, le fond du problème. Dans la création, la fragilité est une chose très difficile à atteindre. Cela peut même faire peur. Expliquer la musique avec des mots est presque impossible, mais l'essentiel sera toujours de toucher la fibre, l'émotion.
Trouves-tu toujours de la matière lorsque tu composes ?
Pas toujours. Je me mets souvent au piano, et je cherche. Quelquefois, cela n'aboutit à rien, ou alors, je traduis en musique des états d'âme, de jolies ballades agréables à écouter. Mais, ce ne sont que des moments du quotidien que je garde pour moi. Quand je compose pour Magma, je deviens très dur et sélectif, parce que chaque disque se doit d'être différent du précédent. Sinon, ce serait trop facile. Je pourrais écrire un Mekanik Destructiv Kommandoh n°2 en quelques jours, mais cela ne servirait à rien. Ecrire m'est de plus en plus difficile, parce que j'ai déjà épuisé beaucoup de couleurs différentes. Alors, je dois trouver d'autres filons musicaux, au risque de déplaire. Mais, l'idée n'est pas de mettre de l'eau dans mon vin pour faire passer la pilule, bien au contraire. Je veux surprendre, que les gens se disent: « Mais qu'est-ce que c'est encore, que ce truc-là ?».
Tu t'en es toujours plutôt bien sorti. Je pense à cette vidéo filmée lors d'une émission télé au début du groupe, ou on te voit hurler comme un damné, littéralement possédé. Y avait-il une part de provoc là-dedans ?
Avec l'un de mes amis de l'époque, René Garber, nous étions vraiment dans cet état d'esprit. Même les membres du groupe eux-mêmes pouvaient être choqués par certains comportements, par cette sauvagerie commune. Ce n'était pas de la provocation, mais une volonté d'envoyer au public quelque chose qui soit hors du commun. Au milieu de ce rêve, de cette euphorie hippie, il fallait réveiller les morts (rires).C'est sûr qu'à l'époque, à côté de Michel Fugain et du Big Bazar, vous deviez furieusement dénoter...
Exactement (rires). Je ne sais pas si les gens s'imaginent les réactions que cela pouvait provoquer dans le contexte de l'époque. Mais, tu sais, il m'arrivait d'être dans cet état-là à la maison pendant que je composais. Je n'avais pas besoin d'avoir devant moi une caméra de télévision pour cela. Avant les concerts, nous savions que dès les premières mesures, les gens allaient réagir, que ça allait faire « bang ». Ils venaient nous voir ensuite dans les loges, et nous demandaient si nous étions des anges ou des démons. Mais, je ne regrette absolument rien, et je crois vraiment que c'est ce que je devais faire. • Ludovic EgrazLes héritiers de la musique Zeuhl
Le terme Zeuhl désigne la musique inventé par Christian pour Magma, et qui mélange la transe du jazz des 60's (John Coltrane, Pharoah Sanders, Eric Dolphy), et les musiques populaires d'Europe de l’Est (les compositeurs Igor Stravinsky et Carl Orff). Ce mot est devenu un courant musical, suivi par d'autres groupes tels que Koenjihyakkei, Troll, Art Zoyd, Weidorje ou encore les japonais de Ruins, qui en sont les représentants les plus connus.Batterie Magazine N° 65 – Février Mars 2010
Issèhndolüß Akhazhïr