Popular - Juin 2016

Texte : Ana Laredo

MAGMA
«Magma n’est pas un groupe de rock progressif, c’est une institution »
« C’est depuis toujours le groupe de rock progressif le plus légendaire et le moins reconnu. Peut-être par méconnaissance ou par la difficulté qu’entraîne son écoute, mais les français continuent en pleine forme. Depuis près de 40 ans sans se produire dans notre pays, ils seront dans la présente édition du festival Be Prog ! My Friend les 1 & 2 juillet à Barcelone. Pour certains d’entre nous c’est un événement et nous ne pouvons manquer l’opportunité de les interviewer pour la première fois dans la vaste histoire de Popular 1. »


A la tête du groupe on trouve toujours le fondateur, compositeur et batteur, Christian Vander, unique membre permanent depuis la fondation de Magma en 1969, Monsieur Vander ne parle pas anglais et entre nous personne ne se débrouille bien en français, c'est pourquoi la discussion s'est déroulée avec son épouse Stella Vander, aussi membre de Magma quasiment depuis les débuts. Christian l'accompagnait et de temps en temps donnait des précisions à nos questions. Il faut les remercier car le couple n'aime pas trop les interviews et on doit apprécier à sa juste valeur le fait que nous soyons le seul journal du pays à qui ils ont consacré quelques minutes de leur temps .

Merci pour ta gentillesse Stella. Tu ne peux pas imaginer la quantité d'heures que j'ai passé à dévorer la set-box « Studio Zünd : 40 ans d'évolution » qui inclut toute votre discographie en studio, ainsi que ces 2 autres CD's de matériel inédit.

« Merci beaucoup ! J'espère que vous ne l'avez pas écouté tout d'un coup sinon vous auriez pu finir dans un asile de fous » (rires)

ça fait longtemps que Magma ne se produit pas en Espagne, à quoi c'est dû ?

« La vérité c'est que depuis tout ce temps aucun promoteur ne nous a contacté, la chose est simple. J'espère qu'après ce festival les choses changent et que nous gagnerons quelques nouveaux fans »

Quel souvenir gardes-tu de tes visites précédentes ?

« Je n'y étais pas et Christian ne garde pas un bon souvenir. La première fois c'était en 1974 et il y a eu je ne sais quel problème avec les militaires dans le pays ...Franco vivait encore et les jours étaient un peu agités. Après, en 1976, MAGMA s'est produit à San Sebastian et Christian est sorti très triste car il n'y a pas eu assez de public. Maintenant je sais que beaucoup de gens nous verront et j'espère que plus tard nous pourrons faire une tournée dans d'autres villes du pays. Nous venons d'un pays voisin et on se connaît à peine. »

Quel répertoire jouez-vous actuellement dans vos concerts ?

« Bon je crois que à Barcelone nous ne pourrons pas faire notre répertoire complet pour des questions de temps, mais la matière que nous allons jouer provient principalement des disques des 70'. Nous sommes très à l’écoute de nos réseaux sociaux et c'est cette musique que les gens qui ne nous ont jamais vu en concert veulent écouter. Nous allons faire une sélection de « Mëkanïk Dëstrutïw Kömmandôh », « Köhntarkösz », « Attahk » et du premier disque « Kobaïa ».

Comment as-tu connu Christian et quand as-tu commencé à collaborer dans Magma ?

« On s’est connu en 1969 dans un club à Paris que nous fréquentions très souvent tous les deux, quand Magma n’existait pas encore. A ce moment-là, Christian cherchait des musiciens pour former le groupe et bien que j’eusse déjà de l’expérience en tant que chanteuse, ce n’était pas ce qu’il cherchait. J’ai commencé en faisant un peu de management et d’éclairage sur les concerts. Musicalement, j’ai commencé avec le groupe quand il composait « Mëkanïk Dëstruktïw Kömmandöh ». Il cherchait une voix féminine pour faire quelques chœurs et il a auditionné différentes chanteuses mais aucune ne convenait, et il n’a même pas pensé à moi ! (rires), jusqu’à ce qu’il se rende compte de ce que je chantais tout le temps… il avait la solution à son problème juste à côté de lui mais ne s’en rendait pas compte ».

Donc, tu as été là depuis la naissance du groupe, tu es, sans doute, avec Christian la personne qui connaît le mieux Magma.

« Oui, et c’est quelque chose que je n’avais pas planifiée quand j’ai commencé ma relation avec Christian. Quand j’ai commencé à chanter dans le groupe, il y a eu des moments qui se sont très mal passés. Imagine-toi, une femme, qui là-dessus est la copine du leader, dans un groupe de rock progressif dans les ’70. Je sentais que les adeptes les plus vigoureux et le public en général ne m’acceptaient pas… Avec les années ça a changé. Aucune importance, ça a valu la peine tout l’effort consenti ».

Quand tu as connu Christian, quelle était ton expérience en tant que chanteuse ?

« Je n’aime pas beaucoup parler de ça, il n’y a rien de mémorable (rires) mais au moins ça m’a servi à apprendre à chanter. Quand j’étais enfant, tout est arrivé avec l’initiative de mon oncle Maurice. A 13 ans j’ai publié un disque de chansons ye-yé, qui était ce qui était, on parle de l’année 1963. A 16 ans j’ai sorti un disque de Folk-Pop… C’était tout comme une espèce de parodie, des versions avec les paroles changées pour un monde d’adolescents. J’ai même publié un troisième disque en 1967 pour que, tu vois, avant d’avoir 18 ans j’aie déjà sorti trois disques. Après ça je n’avais pas projeté d’avoir une carrière musicale et tu vois… »


Maintenant je suis curieux, comment as-tu signée ces disques ?

(rires) « Simplement Stella. Je te souhaite de la chance, je crois qu’ils ne se trouvent nul-part dans le plus secret d’internet » . (Note de la rédaction : elle se trompe. Elle l’a certainement dit pour que je n’aille pas chercher. Il faut chercher un peu mais ils sont sur internet. Elle avait raison, ils sont pathétiques)

Ça a été difficile pour toi de chanter en Kobaïen, la langue que Christian inventa pour la musique de Magma ?

« Non, c’est comme pour un chanteur d’opéra, que souvent il doit chanter dans une langue qui n’est pas sa langue natale. Quand il écrit des paroles, Christian explique toujours sa signification à celui qui va les chanter, de quoi cela parle, pour qu’il soit impliqué dans l’histoire et sache exprimer ses sentiments. Ce n’est pas plus difficile que n’importe quelle autre langue ».

Comment définirais-tu le style que vous avez créé pour Magma, la Zeuhl ?

« c’est compliqué. Zeuhl signifie « musique vibratoire » et littéralement en Kobaïen « céleste ». Je voudrais clarifier que ce n’est pas une sous-étiquette du progressif. Magma n’est pas un groupe de rock progressif, c’est une institution. Comme l’a dit un journaliste américain, très fan du groupe : « La musique de Magma est étrange, belle et gratifiante ; elle peut te faire pleurer et t’ouvrir l’esprit. C’est une musique qui t’arrive à l’âme, au corps et à ton esprit. Ils n’ont pas besoin de montages scéniques spectaculaires ni de raconter des space opéras, leur truc c’est une expérience spirituelle, cela suppose une réelle connexion entre le musicien et l’auditeur » c’était quelque chose comme ça ».

Très souvent Magma est étiqueté comme un groupe de jazz, et il ne me parait pas judicieux de le faire. Qu’en penses-tu ?

« Bon, je n’en dirais pas autant. Tout le monde sait que Christian est le plus grand fan de John Coltrane qui existe, mais pour lui cela ne suppose pas tant une influence qu’une inspiration. Il y a des fois où il n’écoute pas autre chose qui ne soit pas Coltrane. Il a en commun avec lui le fait de chercher à faire de chaque disque une expérience différente, toujours en essayant d’innover et de surprendre… Il me dit qu’il a eu la grande chance de le voir plusieurs fois en concert avec son Quartet, ici en France et il est resté fasciné. Ce qu’il a préféré le plus fut l’année 1965, deux ans avant sa mort. C’était son époque avant-garde, celle qui lui plaît le plus. Ses disques favoris sont de cette époque : « Live At The Village Vanguard Again ! et le posthume « Expressions ». Il dit que c’est une musique d’une autre planète. C’est son maître et il le sera toujours ».

Et toi ? partages-tu sa passion pour Coltrane ?

« Je ne suis pas arrivée à ses extrêmes mais oui, j’adore le jazz, il m’a contaminé depuis tant d’années. J’ai commencé avec Miles Davis, Dave Brubeck… j’aime beaucoup Weather report… mais je finis toujours par revenir à Miles et Coltrane. J’aime beaucoup de choses de McCoy tyner… »

Durant un temps vous avez eu comme manager Giorgio Gomelsky, qui fut aussi celui des Rolling Stones et des Yarbirds. Ce fut une bonne expérience ?

« En partie oui et en partie non. C’était un grand manager, sans aucun doute, mais pas le plus approprié pour Magma. Il a convaincu Christian d’aller aux USA, qu’il y triompherait et toutes ces sortes de choses. Il était capable de convaincre n’importe qui, son bagout n’avait pas de limite. Il lui a donné toute liberté créatrice mais au moment de produire le disque, il prétendait l’orienter vers le jazz, et le destiner à ce public, ce qui est une erreur. Et pourtant, il figure comme producteur de « Mëkanïk Dëstruktïw Kömmandöh » . Son plus grand mérite est que grâce à lui beaucoup de gens ont connu Magma, on ne peut pas le nier, y compris plein de gens célèbres ».

C’est certain. Vous avez eu plusieurs fans illustres : Johnny Rotten, steven Wilson, Mikael Akerfeldt de Opeth… Vous les connaissez personnellement ?

« Oui, et Robert Trujillo, de Metallica, c’est aussi un grand fan. J’aime beaucoup ces groupes. On a tourné avec Porcupine Tree au USA en 1999 et depuis lors nous sommes en contact avec Steven Wilson, un artiste qui fait beaucoup pour le rock progressif. On a commencé à écouter Opeth quand ils ont laissé le Metal et ont commencé à faire du Prog. Mikael Akerfeldt nous a invité à un festival et là-bas nous avons découvert que nous avions beaucoup de fans dans le monde du Metal, une chose qui nous a attiré l’attention, mais c’est génial ! ».

Qu’y a-t-il de vrai dans cette légende qui circule par-ci par-là disant que Mike Oldfield vous a volé « Tubular Bells » ?

« C’est difficile de l’affirmer avec certitude, mais je dirais que oui, et Christian est d’accord. L’histoire est que nous étions en studio en train d’enregistrer « Mëkanïk Dëstruktïw Kömmandöh » et Oldfied était là aussi, en fait il vivait là. Comme c’est logique, Christian et le reste du groupe jouaient beaucoup plus de musique que celle qui apparaît dans l’album. La surprise est arrivée quand nous sommes allés voir « L’Exorciste » et on se retrouvait avec une série de compos que Christian avait composé avec l’idée de construire un thème dédié à son grand-père, et qu’il avait interprété plusieurs fois au piano là-bas dans le studio. Evidemment il ne l’a jamais enregistré parce que sinon tout le monde aurait dit qu’il l’a volé à Mike Oldfield. Je ne sais pas, peut-être la mélodie lui est restée dans le subconscient de l’avoir tant écouté au studio. Je ne dis pas qu’il l’a fait exprès, mais le fait est là ».

Depuis toutes ces années il vous est arrivé pleins d’aventures. Vous avez aussi été traités de nazis, pourquoi est-ce arrivé ?

« C’est une connerie. Je crois que tout vient de gens qui n’aimaient pas Magma et qui voulaient d’une manière ou d’une autre attirer l’attention. Magma n’a jamais été un groupe politisé, s’il vous plaît, on chante dans une langue inventée ! ça doit être parce qu’on s’habillait en noir… je ne vois pas d’autre raison. Je ne sais pas d’où ils ont sorti ces accusations, c’est quelque chose des ’70 mais ça nous a fait du mal. Il y a eu des festivals qui ne nous ont pas engagés parce qu’on croyait à ces conneries. A Strasbourg ils ne nous ont pas laissé nous produire pendant dix ans. Il y eu des concerts où les gens venaient avec des pancartes et nous criaient « fachistes ! », ils nous lançaient des bouteilles, les gens montaient sur la scène et essayaient de nous agripper…on l’a pas bien vécu… heureusement, ce fut quelque chose de passager de la part de quelqu’un qui nous détestait ».

Que s’est-il passé avec l’adaptation manquée au cinéma de « Dune » de Alejandro Jodorowsky ? Vous alliez vous charger de la bande son…

« Oui, c’est triste qu’au final cela ne se soit pas réalisé. Je ne connais pas exactement les raisons, je crois que pour des motivations économiques, nous étions très illusionnés par le projet. Christian a maintenu quelques réunions avec Alejandro à son bureau à Paris et ils échangèrent des idées. Magma était parti pour se charger de musicaliser le monde des Harkonnen et Pink Floyd celui des Atreides ».

Depuis tout ce temps, que crois-tu qu’il reste à faire pour Magma ? (Note de la Redaction : elle demande un moment pour parler avec Christian)

« C’est difficile à dire. Christian a continuellement de nouvelles idées, mais pour un groupe au budget si serré comme le nôtre, c’est irréalisable. Christian est un visionnaire mais nous ne sommes pas Metallica justement, ou un quelconque autre groupe qui remplit les stades. Si on le pouvait on aurait une mise en scène plus visuelle, plus en accord avec ce que demande et mérite la musique. Parfois on s’est mis à faire des choses nouvelles et on s’est lancé tête baissée plus d’une fois, mais maintenant on a plus les pieds sur terre ».


Il y aura-t-il un nouvel album de Magma dans un futur proche ?

« Oui, mais je suis désolée, je ne peux rien dire pour le moment. C’est un projet sur lequel nous travaillons depuis des années et l’idée est de le publier cette année. Espérons que nous pourrons le présenter en Espagne dans un tour. Merci pour votre soutient ».



Zïha
Stella pour l'info, Edu Malavida pour l'envoi du document et Barfix pour la traduction


WPB le 29 Août 2016
Pour info, la Démo de Mike Oldfield comprenant soit disant le Thème de "la Dawotsin" date de l'été 1971, bien avant l'nregistrement de MDK où Mike Oldfield est passé dans le Studio. Cette démo a été éditée avec Bonus sur le DVD Audio de Tubular Bells 2003, et sur l'édition Tubular Bells Digital Box Set de 2009.


[retour 2016]

[retour page d'accueil]