Interview Christian Vander - (Shibuya - Creston Hôtel - 6 Juin 2015)
RetranscriptionEuro Rock Press : Tout d'abord, vos impressions des concerts au Japon cette fois ci ?
Christian Vander : Déjà, au niveau de la musique je pense que c'était des bons concerts. Le premier on a eu quelques difficultés techniques, mais pour moi c'était dans l'ensemble de bons concerts. Je ne suis pas souvent content sur les concerts, je suis toujours très critique. Le public a été fantastique et il a bien réagit, c'est extraordinaire. Venir ici et échouer ce serait affreux. J'étais content, on a réussi, c'est important, on a fait beaucoup de kilomètres, il fallait, il fallait... On a tout donné jusqu'au bout. On avait un peu peur aussi parce que la dernière partie de la tournée avec la Chine, les horaires étaient très difficiles avec les avions, se lever à 5h du matin, pas le temps de récupérer pour faire les concerts le soir, on avait peur au niveau de l'énergie, on était tous très fatigués, mais on gardait juste ce qu'il fallait d'énergie pour le soir. Chaque minute j'étais concentré physiquement.
ERP : Cette année vous avec beaucoup voyagé avec la tournée aux Etats Unis, Canada, et vous voilà à Tokyo. Au début de cette tournée vous n'aviez pas encore totalement défini les morceaux que vous alliez interpréter, mais au Japon tout semblait bien défini semble t il ? C'était modifiable ou pas ?
CV : Au Canada, on a commencé par Vancouver, on a joué 2 ou 3 concerts avec Rïah Sahiltaahk mais ensuite on a trouvé une bonne respiration dans ce thème. C'était pas prévu comme ça. Köhntarkösz, Slag Tanz s'intervertissait. Des fois Slag Tanz on l'avait mis à la fin et il y avait un déséquilibre du souffle général, de la progression au niveau même de l'énergie. L'enchainement Köhntarkösz, Mekanïk Destruktïw Kommandöh, Slag Tanz et Zombies a été l'idéal, Au niveau de l'énergie, c'est ce qu'il y a de mieux. Donc on est resté sur ce répertoire depuis la moitié de la tournée US. Il y avait aussi un problème car une partie de la tournée c'est un autre pianiste qui a joué, Bruno Roder parce que Jérémie n'était pas libre. Donc il y a des thèmes qu'on pouvait jouer avec Bruno, mais on a pas eu un moment pour se revoir, pour répéter les thèmes avec Jérémie. On ne les avait pas pratiqués donc on a préféré ne pas prendre de risque avec Félicité Thösz ou des choses comme ça. Donc ça a été compliqué de ne pas pouvoir jouer des thèmes qu'on jouait avec Bruno.
ERP : Vous avez donc interprété Mekanïk Destruktïw Kommandöh, Köhntarkösz. Ce sont des morceaux très représentatifs de Magma que tout le monde connait.
CV : Parce qu'en fait, je le répète, on a pas eu beaucoup de temps pour faire des répétitions, on arrive à Paris 2 jours, il fallait repartir, on ne pouvait pas se réunir pour travailler, donc différentes choses à chaque fois. On a donc adopté ce répertoire et Stella a dit on va jouer aussi en Chine, on a jamais joué ça, Mekanïk je l'ai jamais joué en Chine. On avait fait ce répertoire et on a enchainé le Japon avec le même car il était bien rodé, bien travaillé, on ne voulait pas prendre de risque. C'était dangereux de jouer un thème qu'on avait pas joué depuis 2 ans, et puis surtout on aime jouer ces thèmes.
ERP : Pourquoi MDK et Köhntarkösz ? parce que c'est l'anniversaire...
CV : Non, non. Toujours, particulièrement en France, il faut que ce soit un évènement, un anniversaire ou autre chose. Pour moi ça n'existe pas. Je ne sais pas qui a dit ça, mais j'ai vu même sur des affiches dans un club au Triton, 45ème Anniversaire. J'ai jamais dit ça moi. D'ailleurs je ne compte pas les années, je suis toujours en avant. C'est eux qui s'imagine que c'est mieux de mettre ça, ça crée un évènement. C'est faux, c'est pas du tout mon idée, je ne retourne pas sur le passé.
ERP : Vous avez interprété Köhntarkösz, MDK, mais parfois de manières différentes, l'idée.....
CV : Elle est toujours vivante car on peut toujours jouer différemment à l'intérieur. Les structures restent, la forme reste à peu près toujours la même, mais dedans, la manière dont on l'exprime peut changer beaucoup. Moi j'estime avoir évolué sur certains plans, heureusement (rires).Je ne prends pas les morceaux de la même manière que je les prenais dans les années 70, ça c'est certain.
ERP : Une autre question, Il y a une différence d'interprétation entre les années 70, 2000, et maintenant. Comment situer cette différence pour cette tournée au japon ?
CV : (Hésitant) Rien n'est jamais deux fois pareil, même si... C'est comme la vie, si on veut refaire pareil c'est pas possible. Donc il y a toujours une différence qu'il faut négocier, trouver la solution. Chaque soir est différent, le son est différent, la manière dont on écoute est différente. Tout ça fait partie d'un travail, qui nous fait évoluer. Quand on connait bien un répertoire comme ça, on voit son évolution. J'ai trouvé que les deux derniers soirs il ya eu des choses plus ou moins bonnes, mais il y a des choses qui ont évoluées au niveau du groupe à l'intérieur, ça a déclenché de nouvelles choses. En plus c'est vaste. Si un gars mettait une clé dans une serrure toute sa vie, s'il ne faisait que ça, à un moment donné on ne verrait plus le geste. Donc c'est peut être ça aussi, dans le travail d'un morceau, c'est en le faisant de mieux en mieux passer, mieux comprendre le son... C'est une épreuve qui fait évoluer. Je sais que si j'avais passé mon temps à mettre une clé dans une serrure aujourd'hui ce serait terrible. mais la c'est plus vaste, il faut négocier, tous ces accords, ces notes qu'on connait, il faut encore mieux les faire vivre à chaque fois, ou du moins essayer. C'est passionnant de toute manière.
ERP : Bon, évolution. C'est important pour la musique de Magma. Autant dans le passé lointain il y avait de fréquents et nombreux changements de personnel, autant depuis James, Philippe, Isabelle il y a une ossature solide. Leur présence est très importantes pour toi ?
CV : Ce que j'ai entendu dire ça et là, c'est qu'ils ont énormément appris avec le travail qu'on fait ensemble, notamment avec les rythmes et la batterie, ça leur a permit de mieux comprendre le positionnement dans l'espace qu'ils ne soupçonnaient pas. C'est important. Ca leur a ouvert aussi beaucoup ouvert de voies sur les rythmes, c'est très important, dans le sens de situations rythmiques qu'ils ne soupçonnent pas. Ce n'est pas par ce que le rythme semble être comme ça que... entendre tout en fractions de secondes, un Cosme, entendre vraiment tout ce qui se passe et le vivre. Si les gens jouent comme on joue sur un disque, doudoum doudoum, ce n'est pas bon. Et là chaque seconde on doit être à l'écoute, donc on affine l'écoute de l'oreille. Si une des personnes qui est là, ne jouait pas ou n'entendait pas un frottement, et n'influait pas sur son jeu, ça prouve qu'il n'aurait rien appris et qu'il ne devrait plus être dans le groupe. Mais là les gens entendent de mieux en mieux le moindre frottement et agissent. Et c'est là qu'on se rend compte de l'évolution, vous comprenez ?
ERP : Autre question, dans Köhntarkösz cette fois ci James a pris un Solo. Pourquoi dans beaucoup interprétation de jazz, banal, on met du rythme, des accords, et dessus on fait des solos. Bien sûr c'est assez banal. Mais le style de James c'est différent, son solo est magnifique, impressionnant. C'est toi qui appris à James ce style, sinon c'est James qui a appris l'instrument...?
CV : Il est évident que... Moi je laisse toujours une ouverture pour que les musiciens s'adaptent. Depuis le début dans Kobaïa, il y a toujours eu une petite place pour une sorte de liberté, à la condition que la personne respecte la couleur, l'ambiance du thème. Donc James, certainement, progressivement s'est imbibé de l'ambiance. Il a trouvé celle qui lui correspond pour Köhntarkösz et qui est dans l'esprit du morceau. Mais ça c'est fait progressivement. Au début il aurait pu jouer comme un guitariste de blues. Comme Faton, François Cahen, qui, quand je lui ai montré les accords de MDK les trouvait trop simples. Il commençait à me mettre des quartes comme McCoy Tyner. Non non, je lui ai dit Faton c'est pas ça du tout. Il voulait tout de suite changer. Mais c'était hors de l'esprit. Ce n'était pas du tout l'esprit de Mekanïk Kommandöh. Et il commence à jouer des accords McCoy. Non non je luis dit, ce n'est pas l'esprit (rires). Mais personne ne savait ce que c'était l'esprit à l'époque. Il a voulu tout de suite voulu changer, ajouter des accords plus compliqués. Non ça doit rester pur, juste avec un Ré à la basse. L'idée de Mekanïk n'est pas la même que Köhntarkösz quand même. Le problème de Mekanïk, c'est une sorte d'exorcisme. Les gens avancent d'une manière obsessionnelle jusqu'à à arriver à un état de transe, mais c'est expliqué un peu sur le disque, jusqu'à exorciser... comme je le raconte dans l'histoire. Ils étaient là pour aller combattre un tyran, puis finalement ils marchent, ils marchent tellement longtemps qu'ils commencent à chanter, diriger par ce qu'on appelle Nebëhr Gudahtt qui les guide, qui les incite à chanter jusqu'à ce que ce qu'ils oublient même pourquoi ils marchaient. L'idée c'est que ce climat de transe c'est se purifier. Après, tous les moyens sont bons pour exorciser les choses, tous les systèmes sont bons, que ce soit dans celle forme là ou une autre, pour arriver à une action de purification. Ou apaisera, ou amènera à une unité intérieure, une transformation... C'est un moyen comme un autre de retirer les mauvaise énergie, vider. Comme disait Shri Aurobindo, moi j'avais trouvé une image qui était quasiment la même, Shri Aurobindo disait "il faut vider le calice afin de laisser pénétrer la liqueur divine". Et moi je disais il faut vider le récipient des mauvaises énergies pour se purifier. Mais la phrase de Shri Aurobindo est supérieure. C'est un petit peu ça l'idée.
ERP : Pour en revenir à Mekanïk, autrefois tu as chanté avec l'orchestre acoustique. Peut être est ce la première fois que tu chantes avec l'orchestre électrique pour MDK. Pourquoi tu as choisi cette option où au milieu tu chantes ?
CV : Au commencement, au début, quand on a enregistré Mekanïk Kommandöh, je faisais une intervention de voix en 1972, quand on a commencé à le jouer sur scène; après on l'a gardé pour le disque, pour la première version, et puis après, avec les musiciens on a changé. Il ya eu divers chorus, même piano, ou autre chose. Et Stella m'a dit, pourquoi tu ne ferais pas une intervention plutôt que de faire un chorus de guitare ou je ne sais qu'est ce. J'ai dit pourquoi pas. J'ai essayé, je n'ai pas travaillé sur... j'ai cherché à donner une sorte de chant euh... Il n'est pas torturé comme dans la première version, il est plus... presque grave peut être, et là je voulais faire quelque chose d'assez serein, quelque chose d'assez apaisé, contrairement au premier chant de 1972. Stella me dit, essaye, pourquoi tu ne le fais pas. Bon, je fais (rires). Ca dépend des soirs, c'est pas mal, il y a une ambiance.
ERP : Au début les chanteurs chantaient en Kobaïen. A cette époque là le Kobaïen correspondait bien à une langue articulée, comme le français, le japonais, l'anglais, mais cette fois ci ce qui est chanté n'est plus la même...
CV : Je ne considère pas ça comme un son avec des paroles, je pense plutôt comme un instrument à vent, come le saxophone ou autre chose. Je ne pense pas en termes de mots.
ERP : On a trouvé qu'au lieu de langues on se rapproche plus du cri...
CV : Le cri existe toujours. il ne faut pas penser que Magma s'est calmé (rires). Des gens m'ont dit aussi, Félicité Thösz c'est plus calme. Mais je leur ai dit attention, c'est le calme avant la tempête, et après on a fait Slag Tanz qui est beaucoup plus mouvementé. Et les gens ne l'attendait pas; ils disaient, bon... C'est une sorte de temps de repos pour passer vraiment à quelque chose d'autre qu'à été Félicité Thösz par rapport à Slag Tanz, directement, brutalement sur une autre chose. Il y a toujours cette chose. Au début c'était peut être un lac, aujourd'hui on entre déjà vers l'océan qui est plus houleux; ce n'est pas calme, absolument pas. Le calme avant la tempête...
ERP : Donc pour le Kobaïen, il n'y a pas de langue, c'est le son, Mais par contre Mekanïk Destruktïw Kommandöh, que veut dire Mekanïk Destruktïw Kommandöh, c'est une expression anglaise... ?
CV : Non, mais, j'ai toujours essayé que les titres des morceaux soient à peu près interprétables partout, c'est pourquoi "Merci", tout le monde comprend. Mais après, qu'est ce que ça veut dire ? Mekanïk Kommandöh... Köhntarkösz c'est à part, mais dans l'ensemble j'ai essayé de mettre des titres qui pouvaient être interprétables. j'ai toujours laissé les mots venir. A des moments, dans des textes que j'ai écrits, qui viennent quand je compose, il y avait des mots anglais, et quelque fois un mot français; et Stella m'a dit, puisqu'il y a un mot anglais, on va faire le texte en anglais. Or en anglais c'était ridicule parce qu'en fait la personne parlait bien anglais, mais pour moi, l'image que j'avais en moi était bien supérieure, on pouvait imaginer beaucoup plus de choses. A partir du moment où on a essayé de traduire ce que je voulais dire ça mettait le texte à plat. Un exemple, I must return dans le disque "Merci". I must return c'était complètement un échec. Moi j'ai dis, plus jamais je ferai ça. Si un jour un mot anglais arrive, on laisse le mot tel qu'il est dans l'espace, on ne change pas, on essaie pas de faire un texte en anglais ni en français. Là dans Slag Tanz il y a des textes français. C'est plutôt ésotérique, les gens comprennent au 1er degré en français. Tiens la fleur, dans Félicité Thösz, tiens la fleur est venue; ils pensent que c'est un peu hippie, les fleurs, les oiseaux. Rien à voir dans l'histoire. On pourrait essayer de traduire Il dit à un moment donné, "une fleur est venue au fond des bois" et après il dit "du fond des bois une fleur est venue en mon âme". Ca veut dire que la personne s'est transformée, au départ elle n'était pas le bois, la forêt. Il voyait la forêt et la fleur. Après il était lui la fleur, il est devenu le bois, il est devenu la forêt, et cette forêt c'est déjà transformée dans son âme qui était, comment dire, un vecteur de la chose. Donc il a été transformé au niveau matière. Il est passé d'une matière à une autre, il est devenu la forêt. Au début il la voyait, après il est devenu. Ca c'est difficile à expliquer, mais les gens comprennent pas ça. Les gens, se disent, une forêt, une fleur, il se promène dans la forêt. Non ce n'est pas ça du tout. C'est très difficile, mais j'aime beaucoup cette manière d'exprimer les choses qui correspond à la manière dont je fonctionne. Mutation.. Bon c'est difficile à expliquer...
ERP : Tu as composé Félicité Thösz, puis Slag Tanz. Est ce que tu es entrain de composer un nouveau morceau ?
CV: Je suis sur des pistes, des voies, des choses viennent, je sens que les choses viennent , mais je ne provoque jamais la musique. Je suis souvent... Je suis plutôt récepteur, je laisse la musique venir, je ne cherche pas, sinon une semaine après je vais me lasser et le morceau n'existe plus et c'est mauvais. Il faut que j'attende le moment où la musique est là. Les choses viennent. Là sur toute la tournée c'était difficile, on avait à peine le temps de dormir. Moi je ne dors pas assez, pas le temps de me retrouver réellement, donc, je pense que, j'espère en tous cas que ça va porter ses fruits pour les mois à venir pour les nouvelles choses. Je ne peux pas provoquer la musique...
Il faut faire attention dans la musique, c'est éviter surtout pas les redites, refaire la même chose qu'on a déjà faite. Donc quand je fais un morceau, j'essaie toujours de surprendre, et même de me surprendre moi, et avoir l'impression déjà que ce morceau pour les gens, c'est quelque chose qu'ils n'ont jamais entendu. Donc le passé c'est fini. A chaque fois il faut trouver une nouvelle chose, ne pas refaire un Mekanïk Kommandöh parce que les gens attendent quelque chose, non ! C'est fini, tout. Surprendre à chaque fois. Mais il faut que moi je me surprenne le premier. Si moi ça me plait, après on peut critiquer ça n'a aucune importance, mais je ne ferai pas de concessions.
Ce qui est important, pas de concessions pour les gens, et pas de concessions pour soi-même. Les gens parfois attendent pour se faire plaisir avec un peu ce qui leur a fait plaisir dans cette musique par exemple. Mais moi ça c'est fait, c'est fini. Je suis très dur la dessus. C'est important, pas de concessions. Pas faire plaisir forcément aux gens. Si ça leur fait plaisir tant mieux. A partir du moment où ça me touche moi, après, libre aux gens de critiquer ou autre. J'accepte les critiques aussi (rires), mais c'est au moins c'est ce que j'ai voulu faire.
ERP : Dernière question, on a entendu dire que deux albums, deux disques vont sortir...
CV : Là franchement, ce n'est pas mon domaine. Stella me parle de choses. Comme j'expliquais tout à l'heure à l'autre personne, je note même pas les dates sur les calendriers. Elle me dit par exemple, tiens il y a un concert qui devait se faire et il est annulé. Ah bon. Parce que sur mon calendrier c'est pas noté. Les musiciens me disent, ah bon il n'y a pas le concert du 14 je ne sais quoi. Mais je leur dit que je ne sais pas parce que de toute manière je n'ai rien noté. Donc je n'ai que de bonnes surprises. Quand à la sortie de disques, pour l'instant je ne suis pas au courant. je ne sais rien au niveau des projets, mais Stella va m'en parler juste avant la sortie... Je pense qu'il va se passer quelque chose, mais pour l'instant je n'ai pas d'informations.
ERP : Mais quand même, tu as connaissance de ces projets ?
CV : Stella m'en a parlé mais j'ai écouté d'une oreille et c'est sorti de l'autre, comme on dit (rires)...
EURO-ROCK PRESS N° 66 - Août 2015
WPB le 18 Février 2016