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MAGMA, par Antoine de Caunes

Après avoir formé rapidement un orchestre de Rhythm'n'Blues, il s'exile en Italie, à la recherche du soleil et d'un succès qui ne peut que naître. Mais on ne conquiert pas l'Italie, tout du moins à l'époque, sans une certaine prestance, ou, pour mieux dire : élégance! C'est donc dans de purs costumes satin luisant, veste fendue et mocassins vernis, que le nouveau groupe débarque à Milan, persuadé d'un engagement immédiat. Un passage très bref au bien inconnu "Voom-Voom" leur vaut un insuccès total. Non seulement la clientèle encore plus élégante qu'eux, mais en plus, un groupe anglais bonne tenue leur ôte quelques illusions. Sans une lire en poche, avec les notes d'hôtel qui s'accumulent, les musiciens décident alors de tenter leur chance séparément. Christian trouve rapidement une place dans un orchestre libanais - Le Patrick Samson Set - qui lui permet de jouer tous les soirs dans le même club. Épuisé par un manque presque total de nourriture (il se refuse à manger quoi que ce soit), il regarde ses forces le quitter, en attendant un état de rêve définitif. Mais les rêves ne viennent pas, malgré quelques jobs plus palpitants, notamment avec Arthur Conley.

2 - Turin, 1968, quelques notes de jazzQuelques mois plus tard, c'est à Turin qu'il joue, toujours dans le même groupe. Quand, une nuit, à la suite d'un éblouissement, il décide, sans savoir pourquoi, de mettre fin à son calvaire. Il comprend que jamais sa souffrance impuissante ne pourra changer ce qui est, et que la mort de Coltrane n'est pas une invitation au suicide, mais bien plutôt une exhortation au jeu. Une longue nuit blanche passe, où il essaie de comprendre ce qui se bouleverse à nouveau dans sa vie. Christian se souvient avec un détail extrême d'une longue promenade dans Turin au petit matin. La lumière était incroyable, et c'était comme si le soleil pénétrait partout jusque dans ses yeux, pour irradier encore et toujours cet instant. Enfin, au terme de cette déambulation dont il ne faut pas sous-estimer le caractère magique, il choisit, sans qu'il puisse en rendre compte une nouvelle fois, de revenir à Paris. Rien ne l'y engageait pourtant : le travail commençait à marcher bien, et l'Italie avait charmé son cœur. Mais l'impulsion est trop forte, et ne souffre aucun argument pour la contrebalancer : un des axes de sa vie vient de se dévoiler.

De retour en France, il vit chez sa mère et se nourrit exclusivement, pendant six mois, de limonade et de riz au lait. Jour et nuit, il travaille sa technique, préparant, sans pouvoir le formuler, quelque chose de décisif. Il participe au festival de jazz d'Antibes, où il joue avec Mal Waldron, Chick Corea, Dave Holland et Jack de Johnette. Il participe également à l'orchestre de Grachan Moncur (trombone de l'équipe de Bobby Hutcherson), qui lui propose d'aller jouer à New York avec lui, sur une scène couverte de filles nues ! Pendant que Grachan Moncur tente de le persuader, et que la pluie ruisselle sur le bord de la fenêtre, Christian ébauche "Malaria" au piano (enregistré sur le premier album), en lui répondant sans arrêt : "Cause toujours, cause toujours".

Le jazz le laisse complètement insatisfait. Pour lui, Coltrane a tué cette musique, en refermant le cercle, c'est-à-dire en épuisant toutes les possibilités de ce discours musical. Elvin Jones également, par son jeu, interdit que l'on puisse continuer à jouer en ternaire comme auparavant. Dans son esprit les choses doivent changer. Soit par le Free Jazz, qui l'ennuie très rapidement, en dehors de certains génies tels que Coleman ou Shepp, et où la plupart du temps, il n'y a pas un coup en place, soit par le binaire (ce que comprit tout de suite Miles Davis) qui finira par devenir la bonne sauce de tout le jazz-rock, répété à l'infini, après les premiers créateurs. Si Christian choisit le binaire à cette époque, l'utilisation qu'il en fait diffère fondamentalement des conceptions des musiciens américains. L'idée de swing demeure, quand derrière apparaît celle d'une machine folle qui aurait elle-même perverti sa programmation. Le jeu Vander vient au monde.


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