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MAGMA, par Antoine de Caunes |
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2 - De la musique considérée comme un promontoire intérieur Batterie de combat Personne ne nous contredira : Christian Vander est bien l'un des plus prodigieux batteurs dans l'histoire d'un instrument qui ne fait, il est vrai, que naître. Le travail qu'il exécute sur scène comme sur disque convainc les plus blasés (à tel point qu'il est devenu pour les batteurs de tous styles une sorte de modèle tout à fait galvanisant). A l'origine de son jeu, deux ingrédients indissociables : le génie et le travail technique. C'est à onze ans qu'il a le premier contact avec une batterie, qui n'est encore en fait qu'un assemblage hétéroclite de lessiveuses et de plateaux en cuivre. Avec des aiguilles à tricoter, il s'entraîne seul à essayer de refaire ce que joue son inspirateur du moment : Kenny Clarke. Sans méthode, il suit intuitivement le tempo, casse peu à peu ses poignets et reproduit des schémas rythmiques de musique ternaire. Son père le présente un an plus tard à un professeur de percussion de la garde républicaine qui lui offre sa première paire de baguettes d'entraînement (en ébène). En possession de ce matériel homologué, il entreprend alors le véritable travail d'assouplissement et de contrôle, suivant une méthode très classique. Elvin Jones, qu'il rencontre peu après, lui fait considérer cette technique d'une manière toute différente. Le personnage présente dès l'abord un degré de folie apparente qui ne laisse pas le jeune Vander indifférent. Par exemple, à un dîner de l'ambassade d'Espagne où il est invité, le batteur américain, assis en bout de table, tape furieusement avec ses couverts sur tout ce qui peut produire un son, pendant que l'interprète tente vainement de faire patienter le diplomate, en vue des présentations protocolaires. Vander suit partout Elvin Jones et observe sa main gauche, qui effectue un travail énorme à l'époque où le bon ton voulait que les batteurs aient cette partie du corps paralysée. Il se met à son tour à développer cette technique de poignets, emportant ses baguettes à toutes occasions. Avec les jours qui passent, il contrôle de mieux en mieux ses mains, parvenant à jouer aussi rapidement et précisément avec la main droite qu'avec la main gauche. Elvin Jones lui apprend que la batterie est un instrument violent et tendre, large et délié. Il pratique alors en moyenne neuf heures par jour sa technique, toujours avec ses baguettes en ébène, jusqu'au moment où il ne ressent plus le besoin de travailler la vitesse. Il souffre souvent de crampes dans les poignets, en voulant trop forcer, puisqu'il arrive à jouer aussi rapidement avec ses baguettes pesantes de travail qu'avec des baguettes ordinaires en bois. Pour remédier à l'épuisement qui le gagne peu à peu, l'énergie qu'il plaçait dans ses mains s'étant maintenant répartie dans tout son corps, il se remet à écouter de la musique (évidemment Coltrane), et à l'accompagner. Il pense maintenant à travailler en détendant ses muscles, freinant ses désirs de vitesse pour insister sur une puissance de martèlement. En même temps, il découvre les possibilités qu'offre un contrôle effectif des sons. C'est bien de la musique qu'il peut créer, sur de simples caisses, et non plus un seul support rythmique. Elvin Jones est là encore pour le conseiller. Il lui montre à quel point l'apport harmonique d'une batterie peut être important, et dans quelle mesure l'instrument peut être lui aussi une voix de chant qui s'intègre dans le développement d'une musique. En même temps que son corps se détend, s'associe à la percussion, il pousse jusqu'à l'excès le contrôle des pédales, travaillant dans l'esprit de vaincre les limites de la fatigue. Enfin, Tony Williams qu'il découvre à Antibes alors qu'il a quinze ans, au lieu de le décourager (Williams n'a de son côté que dix-sept ans), lui fait dire : " Tony a deux ans d'avance." Le travail ne fait donc que commencer... |
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