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MAGMA, par Antoine de Caunes |
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Aussi à l'aise dans le binaire que dans le ternaire, il fait partie des musiciens qu'il faut avoir vus jouer pour comprendre ce que peut être une "offrande musicale". Vander sur scène donne tout, dans une éruption barbare, retrouvant en quelques instants le climat spirituel des possessions vaudou. Sa douceur hallucinée dans la vie se transforme en magie apocalyptique sur l'instrument, exerçant un pouvoir de fascination qui ne faiblit pas avec le temps. Technicien époustouflant, il est le conducteur rythmique de sa propre musique en même temps que le grand officiant de ses moments de délire. Dire qu'il a énormément apporté à la conception de la batterie serait peu dire : "Beaucoup de batteurs de rock jouent binaire parce qu c'est immédiatement plus facile que le ternaire, mais le binaire est un rythme très riche, qui tourne naturellement. Quand j'a commencé à jouer binaire, c'est parce que je sentais que tout était possible. On ne pouvait plus jouer ternaire après Elvin, il fallait changer la technique pour faire autre chose. En 1968, je suis donc passé brusquement au binaire et je me suis fait insulter par les jazzmen avec qui je jouais (qui me surnommaient Ie "twister"). Ceci dit, je n'ai jamais pensé que je faisais un apport à l'instrument. Je n'ai jamais réfléchi à ça. Simplement quand l'on monte sur une batterie, quand l'on joue de son instrument, une seule chose importe : ne jamais se montrer inférieur à soi, par respect de l'instrument, et de soi-même. Cela dit "tout"." Inimitable, sa pulsation tient à la fois de la rigueur métronomique des rythmiques soul, et de celle d'une machine infaillible qui s'autoriserait des rêves de torrents et de montagnes. Le swing monstrueux qui en résulte déborde de partout en fixant l'esprit sur un point de regard. Il n'est pas un mouvement, un son qui n'aient leur place au moment où ils apparaissent. Ici, il n est point question de fioritures baroques pour améliorer une musique déficiente, c'est un cur double qui bat, oscillant entre la plus infinie tendresse, la sauvagerie et l'humour. Pour Vander, la batterie est un prolongement du corps, au même titre que la voix. Ce n'est pas sur des peaux qu'il frappe, c est sur la sienne. Ce ne sont pas des sons innocents qu'il délivre, c'est sa propre voix, à tel point qu'à une époque, il avait donné à chaque son un cri équivalent, qu'il mêlait en jouant sans que l'on y discerne la provenance exacte de chaque jet. Son jeu procède de la déflagration. On imagine, à le voir, une explosion formidable, et cependant tellement contrôlée que tous les éclats volant dans le ciel en reviennent à se lier avec harmonie. Instrument magique entre tous, la batterie a aussi la fragilité des objets de la magie. Le moindre relâchement d'attention la transforme en un instrument vulgaire, éloigné de l'idée première comme un couteau du sang qu'il a fait surgir. C'est ce qui lui donne sa valeur de pierre inconnue, son éclat qu'un seul écart peut ternir. Il y a justement pour Vander (et paradoxalement) une difficulté à servir la musique au mieux quand l'on est batteur. Il ne s'agit pas d'ajouter à tout prix un instrument aux autres, mais d'être aussi indispensable dans la dimension que l'on a choisie, qu'un des autres membres du corps. Ce problème, quoi qu'on en pense, existe toujours à ses yeux : il estime que son jeu ne s'est pas encore assez épuré pour éviter les impuretés (les vulgarités) qu'il redoute tant et dont nous parlions auparavant. D'autre part (et là aussi paradoxalement) Vander ne se considère pas comme un batteur. La place qu'il se donne dans sa musique consiste à scander les chants. Quand il joue, ce n'est pas une batterie qu'il entend, mais un médium de tension qui décide, comme une machine ayant décidé elle même de sa programmation, du geste à venir. Toujours conscient, fût-ce dans la transe, il ne se retrouve jamais en état d'attente : les musiciens obéissent à un ensemble symbolique qui régit la propulsion des mouvements. Par exemple, lorsqu'il fait sur scène, le geste d'Osiris mort, Osiris ressuscité (bras croisés tenant les baguettes se croisant à leur tour, puis bras ouverts) il déclare par-là : "Je sors du sommeil pour amener une dynamique, du néant à l'action. C'est le signal du déclenchement d'une action musicale... ou autre. Cela représente le moment où les forces rentrent en moi et où je les libère. A ce moment là, rien ne peut plus arrêter la machine. Rien " (Voir interview au journal Le Sauvage, "L'Ars Magma", n° 43) |
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