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MAGMA, par Antoine de Caunes

Pendant ce temps, Magma est donc en Hollande, secondé par des roadies (en plus de Loulou) tout à fait exceptionnels : Bob Ward et Tam, recueillis dans leur île lors d'un passage en Angleterre. Panique à bord ! Le matériel est rangé en cinq minutes, montre en main, avec l'aide de quelques litres de bière, et l'on en sème un peu partout sur les routes. Ils jouent en revenant au Cheap Festival où ils se produisent dans des conditions épouvantables, noyés dans la boue. Le festival est tellement "cheap" qu'"on" décide de ne pas les payer, problème résolu par un aller-retour à la caisse même. Les organisateurs pensaient qu'un groupe français pouvait bien mieux se passer de rémunération que les groupes anglais. Prestige oblige.

Enfin le passage à Châteauvallon décide une bonne partie des musiciens, épuisés par les galères incessantes, à s'en aller. Faton, Seffer, Moze, Lasry et Toesca se retirent d'un commun accord.

7/8 - 1972, Concert à l'ORTF dans la lumière... et dans l'ombre. Photos Jean-Pierre LeloirChristian recherche aussitôt de nouveaux musiciens et les trouve… Jean-Pierre Lambert prend la basse, Jean-Luc Manderlier le piano, René Garber revient au sax, et Mickey Graillier joue le deuxième piano. Un mois de répétitions intensives (il faut tout reprendre à zéro, comme pour chaque changement de musiciens), et le baptême a lieu au Sigma de Bordeaux, qui est à l'époque l'un des seuls lieux en France à promouvoir des spectacles de haut niveau. Sept mille personnes dans la salle sont venues voir le "Magic Circus" et Magma. La troupe du Magic passe une heure seulement dans la salle bondée, au lieu des quatre heures prévues. Au-dehors une manifestation contre Nixon bat son plein, et les militants viennent s'installer en masse devant la scène. Les musiciens se reposent à l'hôtel, sans savoir qu'ils doivent commencer plus tôt. Klaus, qui est resté, monte sur scène et joue des percussions en faisant chanter les spectateurs. Le concert commence une heure plus tard, et les applaudissements sont recouverts de slogans antiaméricains. Passablement bourrés, des militants grimpent également sur la scène et l'un d'entre eux va voir Christian avec son litre de rouge, pour lui en offrir. Soit que Christian n'aime pas le vin, soit qu'il ne supporte pas qu'on l'importune quand il joue, le généreux donateur se retrouve sur le plancher qu'il n'aurait jamais dû quitter. Les slogans sont hurlés de plus belle, et s'y mêlent quelques "Magma facho…" assez désagréables. A noter que Zappa sera confronté à Berlin au même genre d'incidents et que lui aussi sera gratifié d'insultes hautement réprobatrices : "Mothers of Reaction" (!). D'autres manifestants montent sur le podium, éjectés comme par un coup de vent par Loulou qui veut tuer tout le monde. Les insultes à Nixon se retournent vers Magma qui décidément a des manières vraiment fascistes. Les autres spectateurs agonisent d'injures les manifestants, et "Mekanik" est interrompu en plein milieu. On expulse les gêneurs, le concert reprend et c'est un triomphe.

A la faveur de la relation de cet incident dans Le Nouvel Observateur, le public peut apprendre que Vander a déjà la gueule d'une pop-star (la mâchoire altière), et qu'il possède en même temps l'aura sexuelle (?) d'un Jimi Hendrix ou d'un Mick Jagger. On en apprend de tous les côtés…

A peu près à la même époque, un concert qui a lieu à Douai se termine de manière encore plus sanglante. René Garber est venu se joindre au groupe pour l'interprétation de "Mekanik", et, à la fin du morceau, quand le public commence à se disperser, un spectateur, plein de ce bon humour français qui nous vaut un prestige international, envoie sur Vander sa cigarette allumée. Hélas, ce dernier l'a vu au moment fatal, et il lui envoie par retour du courrier son tabouret de batterie dans la partie du corps où siège, paraît-il, la pensée. Une trentaine de spectateurs, ayant déjà trouvé le concert trop cher, entonne alors l'air bien connu "Magma facho… Magma facho…", assimilant dans un élan superbe et généreux les exterminateurs en masses des camps de la mort avec des musiciens qui pensent à autre chose qu'au bienheureux "Love and Peace", et le proclament. Vander et Stundëhr sautent alors dans la salle en hurlant et à eux deux refoulent à coups de chaises l'attroupement des badauds. Un épisode de rapports tendus dans l'histoire d'un groupe pas "cool" du tout.


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