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MAGMA, par Antoine de Caunes |
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Il faut citer aussi un concert inoubliable à Bruxelles, le 24 décembre 1972. Il règne une grande agitation dans la salle où de nombreux spectateurs sont entrés en forçant les barrages. Sabotage ! En plein morceau, quelqu'un sectionne les fils de la sono. "Mekanik" est interprété avec les voix seules et un piano acoustique. Quant à "Rock Pas Dégénéré", l'association a vite fait de s'écrouler. Les gentils organisateurs veulent autre chose ; de l'anglais, même un peu faisandé, étant préférable à du cru local. Magma décide alors avec Gomelsky d'organiser lui-même des concerts plus importants, qui attirent de 800 à 1000 spectateurs par représentation. Côté musiciens, Gérard Bikialo remplace momentanément Mickey Graillier au piano et Marc Fosset vient jouer de la guitare. Début 1973, Christian, Stundëhr et Lambert découvrent Janik Top, en train de répéter dans le groupe d'André Ceccarelli (Troc), à "La Bulle", boîte parisienne. Pour eux trois, c'est une véritable révélation, à tel point que Lambert avoue sans fausse honte : "C'est le bassiste qu'il vous faut !" Christian est sidéré : Top joue exactement dans l'esprit de Magma, utilisant même des plans de basse dont il n'aurait pas renié la paternité. Ils lui demandent aussitôt de se joindre à eux aux dépens de Lambert. Top accepte sans se faire prier. Il travaillait jusqu'alors à Marseille, dans des orchestres de bal, et il vouait une admiration profonde au groupe, bien que n'ayant jamais osé, d'un naturel très réservé, leur proposer sa participation. Il continue de répéter un certain temps avec Troc ; en travaillant sur "Mekanik Destruktiw Kommandoh" version intégrale, dont les répétitions viennent de commencer. Pour Klaus, Janik Top est le premier musicien vraiment à la hauteur (des hauteurs ?) à jouer dans Magma. Pour lui et Christian, Top tombait du ciel. "Top est la vie. Et peu de gens vivent." Magma part pour Oxford enregistrer les rythmiques de "Mekanik" avec Janik. Claude Olmos remplace Marc Fosset. Un quiproquo a pour résultat l'absence de Bikialo au moment des prises anglaises. Teddy Lasry revient pour l'enregistrement, et un chur de femmes apparaît pour la première fois, avec Stella Vander. Les re-recordings se font au Studio Aquarium de Paris. Enfin l'album est publié. "Il leur dit comme leur mentalité est impure, car cet homme qui a analysé tous les problèmes terrestres et a compris vers quel abîme se dirige inexorablement l'humanité, est un humain. Il n'est pas une divinité, il ne se prend pas non plus pour telle. Les terriens ont pris connaissance de son existence, ils ont connaissance de ses idées et pensent qu'il n'est pas un guide mais un tyran." Philippe Paringaux préface la pochette, d'un texte magnifique. "Magma solitaire et hautain. Architectures idéales, métal et glace, gardiennes du brasier. Paysage immobile, sous un soleil gelé, pareil à un oeil pâle qui ne cille jamais. Tout au commencement, le silence de l'attente. Et puis, venu de loin encore, l'écho d'une pulsation sourde qui fait trembler la terre, les genoux et les mains. Il est temps de choisir, de fuir ou de rester." Aussitôt après, en juin 1973, une tournée américaine, préparée par la maison de disques, est programmée pour la promotion de Mekanik. La troupe part au grand complet, avec trois pianistes. Quelques concerts au festival de Newport à New York en grande tenue, et la participation de deux excellents musiciens américains : les frères Brecker au saxophone et à la trompette (futurs musiciens de Billy Cobham, entre autres) qui jouent sous la tutelle de Lasry, revenu spécialement. Au total quinze jours de concerts, dont l'un au Philharmonic Hall de Manhattan, à l'issue duquel le batteur de jazz Roy Hayers vient confier à Christian : "Man, you put me on the floor!" Tintin en Amérique, ou les Kobaïens à la découverte du nouveau monde. Comme ils dînent dans un restaurant proche de leur hôtel, un vieux Portoricain fait irruption dans la salle en hurlant, poursuivi par un plus jeune armé d'un couteau. Ils traversent le snack, le plus jeune criant avec furie : "Je vais te tuer, je vais te tuer..." Les autres dîneurs lèvent à peine le nez de leur maïs, et nos musiciens sont pétrifiés. Dans la rue, le jeune poursuivant exécute le vieillard. Tout s'est passé en une seconde. Un ange de la rédemption habillé en policeman arrive au pas sur un magnifique cheval. Il regarde négligemment la victime en mâchouillant son chewing-gum et repart appeler un corbillard. American way of life! |
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