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MAGMA, par Antoine de Caunes

2 - De la musique considérée comme un promontoire intérieur

Influences

12 - 1972, Entraînement dans le train, avant concert - Photo xLa musique de Christian Vander, comme celle des musiciens ayant composé pour Magma, est une musique d'identité européenne. Ses sources se situent à des points cardinaux espacés dans le temps et reliés néanmoins de manière très structurée, qu'il s'agisse de musiques populaires de l'Est ou de compositeurs considérés comme classiques. Le compositeur le plus important pour Vander est sans conteste Igor Stravinsky, dont il découvre "Le Sacre du Printemps" à l'âge de cinq ans, en même temps que les "Concertos brandebourgeois" de Bach. Les deux œuvres ont en commun une utilisation du rythme qui en fait des musiques pour le corps plus que pour l'oreille, c'est-à-dire des musiques de la danse et du mouvement. Une anecdote amusante illustre bien ce trait. Vander enfant se met nu dans sa chambre, revêt des costumes tahitiens que son père lui a rapportés, des colliers sonores, et empoigne un tambour. Les premières notes du "Sacre" sont à peine esquissées qu'il danse déjà comme un fou, accordant sans s'en rendre compte ses soubresauts aux rebonds rythmiques de l'orchestre. Plus qu'il n'écoute la musique, il s'imprègne jusque dans chaque nerf des développements mélodiques, des surprises dionysiaques de cette fête qu'il découvre et qui ne le quittera plus. Ces premières sensations resteront décisives dans ses découvertes futures. Les musiciens qui l'envoûtent immédiatement sont ceux qui parlent directement à son esprit et qui surtout ne vont pas par quatre chemins pour expliquer une idée. Par exemple, il ne pourra jamais se satisfaire, à quelques très rares exceptions près, des conceptions classiques de la musique (Mozart en particulier) qui répondent à des règles de mode pour écrire leur musique, faisant succéder des développements à des thèmes puisque l'usage le veut, alors que la nécessité ne s'en fait pas profondément sentir. Par contre, les musiciens russes (à l'exception de Tchaïkovsky) le captivent ; il retrouve chez eux un lien de sang qui lui fait comprendre instinctivement, sans culture musicale, une pulsation rythmique, particulièrement chez Stravinsky, considérée comme difficile pour une oreille occidentale. Il se rend compte de l'importance du piano rythmique chez ce compositeur, ce qui restera une influence capitale lorsque lui-même commencera à composer. Au terme de ses danses barbares, il s'effondre sur le plancher, tous les sens aux aguets, coordonnant naturellement son souffle sur la respiration des sons pendant que d'immenses barres de cuivre pendent devant ses yeux dans l'espace et l'apesanteur en marquant la mesure. A l'écoute du maître russe, il réalise qu'il vit pour la musique. La première impulsion est donnée.

La seconde date importante, pour ce qui est des compositeurs classiques, est la découverte de Bartok, quand il a seize ans. L'écoute de la "Musique pour cordes, percussion et célesta", de "Mikrokosmos" et des quatuors le confirme dans son désir d'une musique simple (non simpliste), épurée, où les élans s'exaltent dans des thèmes condensés et incisifs.

On retrouvera dans Magma ce souci d'une musique directe, basée sur l'exploitation d'accords fondamentaux répétés à l'obsession, renversés et développés en fonction d'une progression figurative. Sur cette trame, des idées sont rajoutées qui ont pour charge de capter l'attention de l'auditeur tout en créant un effet psychologique. "Je fais d'abord voir une maison éclairée, ne recelant aucun secret. Je décide ensuite d'éteindre les lumières et de faire passer une ombre à une fenêtre d'étage. C'est toujours la même maison qui est montrée, seuls les axes de vue se déplacent jusqu'à ce que le bâtiment ne puisse plus avoir de mystère et que celui qui écoute respire à son rythme."


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