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MAGMA, par Antoine de Caunes |
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A partir de 1960, ses préoccupations métaphysiques, toutes empreintes de mysticisme, tiennent une place importante dans sa musique. Longue incantation à l'univers, les sons deviennent modulation, répétition à l'infini d'un hymne d'amour. Il s'inspire de la musique hindoue, puis de la musique africaine, pour créer peu à peu un climat de possession au bord de l'extase. En 1966, il décide de changer totalement de style et se voue corps et âme à la "New Thing", à laquelle il donne ses lettres de noblesse, en compagnie de musiciens comme Ornette Coleman ou Archie Shepp. Délaissant la forme esthétique qu'il avait jusqu'alors cultivée, et à laquelle le public commençait seulement à s'acclimater, il inaugure, dans la même musique, la superposition de plusieurs discours, lignes rythmiques et mélodiques, mais aussi plusieurs codes culturels. Au total deux révolutions esthétiques dans une vie de musicien. Pour le jazz, on ne voit que Miles Davis qui puisse prétendre à un tel honneur. On aura compris, à ce rapide regard sur la vie de Coltrane, quels peuvent être les points d'harmonie entre le jazzman et Vander. Leur chemin musical ne se fait pas sans houle, et la folle détermination qui les pousse tous les deux, dans leur genre et pourtant dans un seul esprit insatiable, ne pouvait manquer de réunir, un jour ou l'autre, ces deux caractères si proches. Dix-sept ans après l'avoir rencontré dans l'immatérialité de la musique, Vander garde pour lui la même passion, aussi farouche, et qui s'est transformée avec le temps en canon de valeur pour la musique tout entière. Si Stravinsky est l'étincelle qui, au départ, lui fait réaliser que sa vie ne peut être que musique, Coltrane est celui qui l'oblige à travailler une musique nouvelle (puisqu'il est impossible de refaire du Coltrane) qui ait pour but la même grandeur et le même dépouillement que ceux du maître. Cette passion se manifeste fréquemment en public. Lors de concerts particulièrement applaudis, il n'est pas rare d'entendre le groupe se lancer dans une improvisation sur le thème de "A love supreme", qui vient couronner une musique entièrement dédicacée au saxophoniste disparu. A cinq ans, le souffle, vital de la musique est apporté par Stravinsky, à treize ans Coltrane offre la vie, c'est-à-dire la foi de créer une uvre idéale, à la mesure de son inspirateur. Et c'est sans doute là une des clés qui permettent de voir le cur de Magma et de tout ce qui naîtra de l'esprit à jamais tourmenté de Vander. En dehors de Coltrane, Christian n 'écoutera jamais beaucoup de cette musique jazz, dans le climat de laquelle il aura pourtant baigné durant toute son adolescence. L'impression générale qui lui en reste est plutôt un sentiment agréable, sans mesure avec l'indifférence la plus totale dont il fait preuve quand il s'agit de rock'n'roll. Certains noms pourtant lui restent en mémoire. Billie Holliday par exemple dont le chant le bouleverse, et surtout Ray Charles, plus proche du blues et du rhythm'n'blues que du jazz pur. Il l'entend un jour à la radio par hasard et est littéralement subjugué par l'impression de force qui se dégage du morceau qu'il écoute. Il mettra un an à retrouver le chanteur américain, ayant cru comprendre que son nom était "Richard" ! Après de longues recherches infructueuses, il l'entend à nouveau dans un grand magasin et se précipite sur l'électrophone, mettant le volume à fond, pour faire goûter à la foule des consommateurs la joie de sa découverte ! Au début d'un blues, Ray Charles pousse un cri terrible qui pétrifie Vander à chaque écoute. Les opinions plus modérées de ses proches le consternent. Après quelques tentatives de persuasion, il se retranche à nouveau dans un mutisme que les hurlements sauvages du pianiste lui avaient fait pour quelque temps quitter. Par Ray Charles, il découvre les richesses du rhythm'n'blues et spécialement de la musique Tamla Motown qu'il écoute énormément au début des années 60. La mise en place rythmique, digne des mécaniques suisses les plus précises avec en prime un feeling exclusivement noir, l'inspire énormément. Déjà à cette époque il prend conscience et cultive cette approche de la batterie qui deviendra plus tard l'un des aspects les plus remarquables de son jeu. Les artistes de cette école qu'il écoute le plus volontiers sont alors des gens comme Sam and Dave, Marvin Gaye, James Brown (évidemment), et Stevie Wonder. Aujourd'hui encore, il écoute avec un énorme plaisir ces musiciens, bien qu'il ait pris des distances assez franches par rapport à une soul "disco" pour le moins compromise. En revanche, comme nous le disions, le rock le laisse complètement indifférent. S'il est parfois sensible à un certain swing, la pauvreté harmonique lui fait rapidement oublier une lueur d'attirance. C'est pour lui une musique de gens incapables d'exprimer plus qu'une ennuyeuse ritournelle d'accords renversés dans toutes les combinaisons possibles, et qui ne cherchent du reste pas à le faire, quand au même moment le climat de la musique Tamla, travaillant sur des tempi semblables, est le délice de son oreille. Une chose lui paraît cependant digne d'intérêt : l'énergie investie par les rock' n' rollers de la première heure, et qui est, à son avis, un phénomène rare dans la musique moderne blanche. |
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