[Page précédente] [Page suivante] [Sommaire]
MAGMA, par Antoine de Caunes

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Vander écoute également de la chanson, à doses infimes il est vrai. Charles Trénet est à ses yeux un artiste de première importance, qui a révolutionné la chanson française jusqu'alors plutôt utilisée dans les salles de garde ou chez les marchands de poisson (c'est peut-être pittoresque, nous sommes bien d'accord !). Il est le premier à avoir introduit cette idée de swing, un swing qui supporte en outre des textes et des mélodies de valeur. Brel l'intéresse aussi, parfois, spécialement pour la richesse des arrangements et la beauté des textes. Piaf l'impressionne, pour le cœur et la douleur à le tenir dans les mains, et, plus gentiment, Georges Brassens. Mais en règle générale, à moins que le chanteur n'ait la valeur des artistes précédemment cités, la chanson, en tant que genre musical, l'ennuie. Le fait que des musiques souvent médiocres servent de support à des poèmes superbes l'irrite profondément. A tout faire, il préfère lire le texte sans qu'on lui impose une mise en musique qui détourne plus souvent l'attention qu'elle ne renforce le sens dramatique.

14 - Klaus à sa table de dessin. Photo Marie-OdileKlaus, de son côté, a suivi à peu près la même progression dans la découverte que Vander. Pour lui aussi, les dates déterminantes sont celles où il entend pour la première fois Stravinsky, Bartok et Coltrane. Vivant au pays basque pendant son enfance, il est habitué à écouter et chanter la musique traditionnelle de ce pays qui retrouve les mêmes accents que ceux des compositeurs russes tels que Prokofiev ou Stravinsky. A la première écoute, il reconnaît là une mélodie naturelle, inscrite dans le sang, et la tradition dans laquelle il évolue. Quand il commence à travailler dans des groupes, à quinze ans, ce sont des groupes de rock. Lui, en revanche, est conquis dès le début par la sauvagerie et l'intransigeance de la musique qu'il découvre avec le "Love me do" des Beatles. Il écoute énormément de rock, notamment les Presley, Cochran, Shadows, et autres Buddy Holly. Il n'oublie pas pour autant les origines de ce nouveau courant, et collectionne passionnément les enregistrements les plus rares des grands bluesmen. En jouant du rock, il se rend compte assez vite qu'il est néanmoins bloqué et qu'on arrive rapidement à saturation des possibilités. Les musiciens avec qui il travaille le déçoivent très vite ils se résignent à interpréter une musique sans richesse, refusant toutes les autres tentatives, à la fois par manque d'imagination et de technique. Le jazz le tente, mais ses acolytes refusent de se risquer sur ce terrain périlleux. Ce qu'il en connaît à l'époque le séduit, mais sans plus. C'est son cousin, le bassiste Jean-François Catoire qui, lui faisant un jour écouter Miles Davis, l'aide à comprendre la cohérence de cette musique et la subtilité de son évolution. Par l'intermédiaire de Miles, il tombe, halluciné, sur Coltrane.

Au moment où il entre dans Magma, il est entièrement disponible et volontaire pour des recherches dans des directions nouvelles : "J'étais comme un explorateur, et avec la musique de Christian, c'était une jungle à perte de vue." Un nouveau champ de vision s'offre à lui, qu'il élargira alors sans cesse par l'écoute des musiques traditionnelles et contemporaines. Sans que des mots aient eu besoin d'être échangés, deux musiciens d'origine toute différente se rencontrent. Ils connaissent dans leurs cœurs les mêmes attractions pour des phares qui n'ont pas fini d'éclairer l'espace. Comme à la source de confluence de cours d'eau, des traditions lointaines et pourtant exactement calquées se rejoignent et se conjuguent. Avec les autres musiciens provenant tous d'horizons encore différents, une rencontre fusionnante a lieu, qui accouchera, après quelque temps, et sous la gouverne d'un géniteur manifestement plus puissant, d'une des musiques les plus passionnantes que la scène moderne aura jusqu'alors mises au monde.


[Page précédente] [Page suivante] [Sommaire]