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MAGMA, par Antoine de Caunes

2 - De la musique considérée comme un promontoire intérieur

Composition extrême

"Toute beauté sur cette terre n'existe-t-elle donc qu'en fonction de son combat avec l'inerte matière du réalisme des intérêts ? Vous, être unique, savez mieux que tout autre avec quels discours j'aurai dû lutter au cours de ma longue vie pour arracher à ce monde de plomb une terre pour mon idéal éthéré." Richard WAGNER (Lettre à Louis II.)


Pour Christian Vander, comme pour tout compositeur digne de ce nom, la création musicale correspond à un constat intérieur, à une nécessité vitale sans laquelle il ne saurait être possible d'entreprendre quoi que ce soit, comme pour répondre au mot de Rilke (Rainer Maria RILKE, "Lettres à un jeune poète") : " Confessez-vous à vous-même, mourriez-vous s'il vous était défendu d'écrire ? " C'est en s'apercevant qu'il lui est physiquement impossible de survivre s'il ne crée pas de la musique, qu'il s'assoit devant son piano. Vander, pour parler de son travail de compositeur, emploie souvent l'image d'un récipient plein qu'il faut d'abord vider pour que les forces essentielles et dynamiques nécessaires à la création puissent pénétrer en soi, dégageant par là même toute idée d'expression personnelle de la musique. Pour lui, la musique est un art complet, une bague aux multiples chatoiements, où le langage, le corps, le spectacle et les notes doivent entretenir des relations d'équilibre. Ses origines polonaise, allemande et gitane sont déterminantes pour sa musique et l'approche que l'on peut en avoir. Il serait vain, à notre sens, de vouloir en faire l'analyse en partant de l'esprit français, tant il est vrai que chaque peuple a sa perception propre et que si un Latin ne peut s'empêcher de "s'exprimer" dans sa musique, il en est tout autrement avec un Vander qui ne considère pas l'art comme un moyen, mais comme une fin. Cela implique que la musique n'est pas un langage, et que sa valeur est représentative, plutôt qu'expressive. Elle n'est pas nécessairement, comme nous sommes un peu trop habitués à le penser, une traduction des émotions : l'impressionnisme et le romantisme ne sont pas pour lui les seules manières possibles d'envisager le monde extérieur. Il est par contre bien évident que l'œuvre musicale ne peut se distancier d'une certaine attitude de l'esprit, d'une manière d'être individuelle, qui sont l'essence même de la personnalité du créateur. Mais, pour Vander, une chose est certaine : moins le moi parle, moins il y a de vulgarité, et plus il est possible de parler d'absolu. Cette idée de vulgarité, qui revient fréquemment dans son discours, et qui pourrait être mal interprétée, mérite que l'on s'y arrête pour dissiper tout malentendu. Elle répond en fait clairement au principe de la nécessité intérieure énoncé par Kandinsky dans son magnifique manifeste Du spirituel dans l'Art. Ce principe premier, moteur de toute création, est lui-même composé de trois nécessités mystiques progressives que nous rappelons ici :

1) chaque artiste, comme créateur, doit exprimer ce qui est propre à sa personne (élément de la personnalité),

2) chaque artiste, comme enfant de son époque, doit exprimer ce qui est propre à cette époque (élément de style dans sa valeur intérieure, composée du langage de l'époque et du langage du peuple, aussi longtemps qu'il existera en tant que nation),

3) chaque artiste, comme serviteur de l'Art, doit exprimer ce qui en général est propre à l'Art (élément d'art pur et éternel qu'on retrouve chez tous les êtres humains, chez tous les peuples et dans tous les temps, qui paraît dans l'œuvre de tous les artistes de toutes les nations et de toutes les époques et n'obéit, en tant qu'élément essentiel de l'art, à aucune loi d'espace, ni de temps).

15 - Octobre 1976. "Renaissance" et décomposition de l'élan. Photo Jean-Pierre Leloir


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