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MAGMA, par Antoine de Caunes

A ce moment-là la musique est devenue présence, matériau brut qu'un second travail, technique, mettra en ordre pour l'enchaînement des idées. Ce second stade de travail, Vander ne peut commencer à le faire que lorsqu'il a retrouvé les mêmes dispositions d'esprit, le même dérèglement qu'au moment de la naissance de la matrice originelle. C'est dire qu'à aucun moment il n'a recours à la raison pour "arranger" une matière sauvage, de génération spontanée. C'est généralement ce second moment de la musique qui lui pose les plus grands problèmes : "Les choses les moins belles sont celles que j'ajoute. En pensant par exemple que deux notes supplémentaires, ici ou là, amélioreront l'ensemble. Or, c'est faux. La musique doit au contraire être épurée à l'extrême, pour que chaque note pèse vingt tonnes."

Il existe donc un travail d'arrangement effectif. Soit que le personnage du rêve chante des notes de piano, soit qu'il exprime le souffle d'un orchestre de quatre-vingts musiciens, il s'agit d'accorder cette musique aux moyens disponibles pour l'instant, c'est-à-dire à la formation de structure rock qu'est Magma, donc à une formule de compromis entre ces deux possibilités qui ne peut manquer, dans un certain sens, de se heurter aux limites de tout compromis. (A ceux qui se demanderaient pourquoi Vander a choisi une telle solution, il convient de rappeler encore qu'elle correspond à peu près à sa pratique de la musique depuis maintenant quinze ans.) Mais c'est également cette réduction qui fait l'originalité du groupe. En effet, pour rester le plus fidèle possible à l'esprit de la musique rêvée, la musique devient l'objet de transpositions instrumentales qui ont pour effet de confier à la guitare, par exemple, la partition des cuivres, ou à un clavier celle des cordes. Il va sans dire que cela exige des musiciens de Magma une culture musicale très vaste, qui ne soit bloquée par aucune approche trop déterminée de l'instrument (classique, jazz, rock, etc.). Pour résultat de ce fameux compromis, un orchestre utilisant certaines possibilités de l'amplification et de l'électronique et qui pourtant apporte un son nouveau dans ce genre de formations. On comprendra alors pourquoi Magma attire aussi bien des amateurs de jazz que des mélomanes fiers de l'être ou que des rockers en mal de changement avec ou sans continuité !

16 - Septembre 1973. "Janik... concentré à en faire peur." Photo xCependant Magma n'est pour Vander qu'une ébauche de la musique qu'il se propose de réaliser. Deux autres projets, actuellement en gestation, devraient permettre de présenter la musique dans son entier, grâce à des possibilités différentes d'exécution, et par conséquent un respect plus large de l'inspiration. D'abord, une musique "Zeuhl" (dont la musique Magma ne présente que l'un des aspects) et qui se proposera d'être une fresque de ce qu'il nomme "Les grandes entreprises", c'est-à-dire les relations de force et d'équilibre à l'échelle cosmique. L'interprétation de cette musique (tant avec des musiciens de haute qualité comme Janik Top qu'avec des orchestres classiques) pourra varier selon la nature de l'œuvre, elle permettra en tout cas des combinaisons nouvelles et sans doute inattendues. Ensuite un certain nombre d'albums "Solo", enregistrés en compagnie de musiciens américains que Vander admire particulièrement (Mac Coy Tyner par exemple), qui devraient autoriser des apports individuels d'une richesse exceptionnelle. Ces trois formes de musique se rattachent évidemment à un seul et même esprit qui est celui des compositions de Vander. Il ne s'agit pas pour lui de pallier des blocages que sa seule musique enregistrée pourrait lui opposer, mais de partir à la recherche de sons nouveaux, nés de la confrontation entre des caractères d'inspiration différente. Des événements récents, que nous relatons à la fin du précédent chapitre, sont venus modifier sensiblement la destination de la musique Magma, sans pour autant remettre en question son postulat de base. Vander déclarait, en juin 1977 (Interview à Rock en Stock, "Magma ou l'éternel retour", n° 3) : "Je vis actuellement une période de mutation aussi profonde que celle qui a motivé la naissance de Magma. C'est un moment très dur pour moi, et pour les autres. Je suis inapprochable et je n'arrive même plus à savoir si nous sommes en été ou au printemps. J'attends la flamme et je sais qu'elle va venir. Je veux, en substance, placer la musique au niveau d'une poétique du quotidien. Ça a commencé avec l'interprétation de "Lihns" (Du double album "Live" où c'est bien Christian Vander qui chante et non Klaus B.). Je fais cela pour que les gens résolvent le quotidien avant de passer à autre chose. En deux mots, je repars à zéro, et Magma renaît, sans jamais être mort. Pour employer une image, je dirais que les armées de combat que nous avons décrites jusqu'à maintenant en termes grandioses, flamboyants, seront racontées désormais dans le détail de leur beauté. La lutte reste présente, elle sera écoutée par un autre biais."


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