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MAGMA, par Antoine de Caunes

Il faut entendre par là que la musique de Magma s'est toujours posée comme une musique de la subversion, des moyens de lutte et de la lutte contre elle-même, et qu'elle ne saurait cesser de l'être. Pour reprendre l'image de Vander on pourrait dire à notre tour qu'à la période de préparation fiévreuse qui a annoncé l'avènement de Magma succède maintenant une période d'apparence plus calme, où les combattants, sûrs de leur force et de l'harmonie de leur déploiement, ouvrent les yeux pour s'observer et admirer la beauté de leurs mouvements. Menés de front, les trois volets de la trilogie fermeront le cycle du système : préparation et déroulement de la guerre, contemplation et réalisation du rêve libéré, redécouverte du plaisir pur de la musique qu'aucun monde ou force ne menace plus.

En ce qui concerne la musique de Magma, on peut diviser en deux grands thèmes les récits qu'elle a maintenant mis en scène et dont les premiers enregistrements commencent avec "Mekanïk". Les deux premiers albums (Magma I et 1001° C), qui ne s'inscrivent pas dans le déroulement des deux pièces citées, ont pourtant un rôle primordial. Ils sont en effet le plan d'ensemble de la musique qui sera enregistrée par la suite en même temps qu'une mise à jour pour le public (une sorte de carte de visite). On retrouve dans le premier album des thèmes de "Theusz Hamtaahk", une mise en condition rythmique et harmonique. Le nombre incroyable de thèmes qui sont présentés dans ce disque est à la fois l'occasion pour Vander, à cette époque, de décharger le trop-plein d'idées qui fourmillent dans sa tête, et un palliatif à un climat obsessionnel qu'il n'a pas encore réussi à mettre en place comme il le désirerait. L'enregistrement permet alors d'exposer une quantité de thèmes et d'esprit qui seront par la suite développés dans des albums comme Mekanïk ou Köhntarkösz.

La première fresque musicale a pour nom "Theusz Hamtaahk" (le temps de la Haine), et elle est subdivisée en trois mouvements respectivement intitulés Wurdah Gläo (Mort et sang), Wurdah Itah (Mort à la terre) et Mekanïk Destruktiw Kommandöh (traduction non nécessaire). Wurdah Gläo, dont on ne connaît qu'un passage enregistré (le Mekanïk Zaïn - Cerveau Mékanik - de l'album Live), a pour charge de régir et de coordonner les trois mouvements. Il raconte la présence d'une cabine déserte (ou, là aussi, d'une entité), qui dérive dans l'univers, et dont émanent les influences d'énergie qui déterminent les événements universels et sidéraux. Elle est en même temps une présence témoin (impassible) de l'événement, une machine inhumaine qui observe par-delà le bien et le mal, le déroulement des faits dont elle est l'origine. Elle est musique, se manifestant par un simple ronronnement obsédant, éternel, une note idéale (la note) que Vander perçut clairement au cours de son enfance et qu'il cherche à retrouver depuis avec acharnement. C'est une modulation parfaite, peut-être proche, peut-être lointaine du "om" hindouiste, une onde dont il sentit un jour l'apparition à la verticale de son cerveau, et dont le son rond, coupant et lumineux lui fit l'effet d'une lame fine et aiguisée qui s'enfonçait au centre de ses nerfs pour lui tenir les yeux ouverts sur la conscience. C'est cette quête de la musique immuable qui est la raison profonde de la création de Magma. Retrouver cette note (c'est-à-dire atteindre une pureté spirituelle première) serait pour Vander se réaliser pleinement, et l'impossibilité présente d'y parvenir justifie à ses yeux le recours aux notes courantes qui peuvent l'aider, à un moment ou à un autre, à approcher cet état de grâce entrevu. Elle est par conséquent le stigmate d'un état de l'esprit qui se rapproche en de nombreux points de celui de la mystique occidentale. Faire de la musique en racontant une histoire dont la raison d'être est une quête désespérée, en essayant de la comprendre et de la décrire toujours et toujours mieux, représente un certain nombre d'étapes (de degrés) à franchir pour retrouver le stade de pureté vivante dont la nostalgie furieuse ne cesse de le hanter. Parfois, aux débuts de Magma, Vander réussissait une ombre d'instant à tomber en harmonique, par le chant, avec son onde spirituelle. Au cours d'un concert au Gibus, en 1970, elle surgit, après le discours de Stoah, et il s'écroule derrière sa batterie, sans connaissance.


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