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MAGMA, par Antoine de Caunes

5 - Interlude : Aimez-vous le nazisme ?

"La vie présente se maintient dans sa vieille atmosphère de stupre, d'anarchie, de désordre, de délire, de dérèglement, de folie chronique, d'inertie bourgeoise, d'anomalie psychique (car ce n'est pas l'homme mais le monde qui est devenu anormal), de malhonnêteté voulue et d'insigne tartufferie, de mépris crasseux de tout ce qui se montre race, de revendication d'un ordre tout entier basé sur l'accomplissement d'une primitive injustice, du crime organisé enfin."
A. ARTAUD, Van Gogh, le suicidé de la société.

Une poutre dans l'œil. Voilà l'impression que donne Magma, en 1969, à ceux qui découvrent le groupe dans le kaléidoscope des spectacles. Et une poutre gênante. Si encore la musique était seule à mettre définitivement mal à l'aise son auditeur... mais non, ça ne suffit pas. Une cérémonie barbare, sacrificielle, l'accompagne, aussi éloignée d'une quelconque "mise en scène" que de l'exhibition courante. Des mots la projettent quand les notes se sont tues, refusant le moindre répit à celui qui a eu le malheur de traîner par là. Enfin, une sensation d'étouffement, de viol des consciences contre lesquels un certain nombre vont s'élever, en tâchant de réduire Magma à quelques schémas facilement condamnables. En l'occurrence : le nazisme. Le malentendu qui a suivi le groupe pendant de nombreuses années (est-il vraiment mort?) mérite que l'on s'y arrête, tant il est vrai que, dans l'esprit de beaucoup, son existence tenace n'a pas fini de faire des ravages.

Quand Magma fait sa première apparition en 1969, le climat musical est au calme fixe, avec vue panoramique sur les tendres éthers d'un ciel qui change de teinte au gré des écarts de conscience. C'est la grande époque du "pouvoir des fleurs" de la scène rock (celle sur laquelle va surgir Magma), c'est-à-dire, ne l'oublions pas, le moment où tout le monde s'entend pour annoncer l'approche d'une paix universelle. La non-violence, la libération individuelle des consciences qui se forge elle-même ses nouvelles chaînes deviennent des attitudes qui réunissent toute une jeunesse exaspérée par des conflits éternels qui n'ont pour seul résultat que de faire renaître un pouvoir aussi oppressif qu'auparavant. Le Vietnam fait rage, et, un peu partout en Occident, des groupes se mettent à refuser le jeu. En épiphénomènes, des rassemblements importants, spécialement aux U.S.A. et en Grande-Bretagne, et une prolifération de fleurs coupées sur des costumes qui redonnent un souffle nouveau à une mode fatiguée. Plus profondément, une importation massive de gourous orientaux accompagnés de leurs petits encens, qui attirent subitement des foules en mal de dépaysement (à ce titre le voyage des Beatles fut d'un excellent rendement) et à la recherche d'une culture un peu moins névrotique. Pour ceux qui préfèrent le voyage en solitaire aux gentils accompagnateurs, les pilules miracles, les poudres d'albâtre et les herbes délicieuses font leur apparition, offrant pour quelques cents des heures de répit, illustrées de rêves évanescents. Le show-biz, d'abord déconcerté, comprend avec une rapidité émérite le parti qu'il peut tirer de toutes ces nouvelles aspirations. Les musiciens se reconvertissent à une musique dite planante, à l'inspiration de traditions musicales qu'ils méconnaissent malheureusement de bout en bout. Après les "mods", avant le regain d'un rock plus "dur", la génération colorée et odorante des végétaux redécouverts étend ses ramages, écoutant dans le vent les réponses à ses ardentes questions, et cela malgré les efforts de musiciens comme Frank Zappa, qui ne se laissent pas prendre à des pièges aussi gros. Bref, tout va bien. Les foules se mettent à onduler dans les eaux boueuses du lac, et le pouvoir se renforce.


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