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MAGMA, par Antoine de Caunes

C'est à ce moment-là qu'apparaît Magma. Avec sa musique, nouvelle : bouleversante pour un nombre de bien-pensants du rock ; violente : pire que le rock ne put jamais l'être ; fondée : elle repose sur un discours de l'Utopie et du paroxysme poétique ; et déterminée : elle ne s'encombre d'aucun détour pour foudroyer son but. Avec son esthétique d'effroi : à la place des tuniques fleuries et des pantalons effrangés, de strictes tenues noires, dont le symbolisme n'est évidemment pas innocent. Image coutumière du deuil, le noir, ce "rien mort après la mort du soleil", comme dit Kandinsky, est aussi le symbole des terres fertiles où dorment les tombeaux, le séjour des morts qui préparent leur renaissance. A la place des insignes de la paix qui prolifèrent bientôt chez tous les commerçants respectables, un sigle de destruction, prêt à tomber à la verticale dans l'axe des cerveaux ; à la place du rock chanté très approximativement par les rockers de banlieue, une langue nouvelle, à fortes consonances germaniques, lançant des imprécations qui rappellent des sommations hurlées à une foule. A la place du spectacle de défoulement du rock, ou de planéité de la nouvelle musique, une folie des corps sur scène, s'offrant à la fois comme objets de sacrifice et comme meneurs de cérémonie. Enfin, et pour corroborer le tout, un discours corrosif où chaque mort est une décharge de haine que seule l'idée de Kobaïa parvient à détendre. En bref, toutes les conditions sont réunies pour qu'il soit permis d'évacuer les problèmes que pose l'existence d'un tel groupe vers des connotations qu'il reste à choisir : Gengis Khan, les légions spartiates ou Hitler ? On choisit Hitler... "Le fait, déclarera Klaus, de posséder un symbole, un symbole magique en plus, le fait de porter des costumes noirs ; le fait d'avoir choisi la dureté car il n'y a qu'une façon d'être efficace - c'est d'agir pleinement - et vue de l'extérieur, la détermination passe pour de l'intransigeance, et on nous considère comme durs parce que l'on ne fait pas de concessions ; le fait d'avoir mis des discours dans notre premier album, d'avoir craché la haine à la terre dans notre second disque, d'avoir écrit sur la pochette "haine" alors que c'était l'époque du "peace and love", le fait de ne pas jouer du rock'n'roll, le fait de ne pas nous droguer systématiquement, sortir du monde et refuser le combat, c'est cela, tout cela qui provoque des réactions vives."

28 - Stuhndër sur scène en 1972. Photo Martine Perrin BonnetCes réactions vives, et elles le sont, font rapidement irruption sous le label : Magma est un groupe nazi. Ce qui caractérise Magma est alors considéré, hâtivement ou non, comme des "références formelles ou profondes au nazisme". Vander et Blasquiz, qui n'avaient jusqu'alors jamais fait la moindre allusion directe à ce mouvement politique autrement que par la présence, sur la pochette du premier album, d'une swastika broyée, au milieu du monde, par la griffe du sigle, réagissent. Klaus élabore une ébauche de réponse qui partage les opinions. Pour lui, le nazisme n'est pas un événement tabou sur lequel il faut garder le silence. Il essaie de comprendre à quels mécanismes inconscients a pu répondre l'adhésion à un tel mouvement, en évitant de porter dessus le moindre jugement moral. "Malheur à nous d'être tombés sur un tabou pareil, dit-il, on aurait eu moins de problèmes avec Gengis Khan, Alexandre le Grand ou les Templiers." Pourtant la fin de sa réponse éclaircit les doutes : " Magma n'est pas une entrprise de mort, mais une allégorie de la vie perdue. La colère de l'homme trompé sur le fond est terrible mais elle est partie prenante du sentiment de la vie, de l'esprit." On ne proposé pas de nouvelle "solution finale", comme on ne leurre pas avec un nouveau "grand soir" ou "lendemain qui chante". Le vrai monde est ailleurs ; quant à celui-ci, c'est de sa propre et belle mort qu'il succombera. Avec ou sans cavaliers de l'Apocalypse.


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