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MAGMA, par Antoine de Caunes

29 - Janvier 77. Klaus, le déplacement de l'élégance. Photo : Antoine de CaunesVander, de son côté, réagit différemment (!). Au lieu de tenter de calmer le malentendu quelque peu sommaire, il se lance dans une série de déclarations, provocations et actes directs. Les musiciens, les critiques, les politiciens sont somptueusement arrosés d'une pluie de mépris, de propos ulcérés qui activent la flamme du mythe naissant. Dandy nocturne, on le voit errer de temps à autre au Gibus, en manteau de cuir noir, bottes brillantes, sigle sur la poitrine et cravache en main. Au même endroit, un soir où les gens discutent de la paix prochaine, il bondit sur une table et se met à insulter l'assistance. Plus calme à l'issue d'un concert pour la Ligue communiste, il engage avec quelques spectateurs une discussion plus pondérée à propos de cet épineux problème. Il est sur le point de les convaincre quand Stundëhr passe derrière lui et brandit le bras en saluant : "Heil Hitler." Des apparitions de cet acabit, commentées de bouche à oreille, propagent bientôt une légende où les bruits les plus inouïs font figure de réalité scandaleuse. On apprendra ainsi qu'il aurait assisté au mariage de l'un de ses musiciens de descendance israélite, vêtu d'un uniforme nazi complet. Le travail dans l'ombre des musiciens est l'objet de colportages ahurissants : "Il" les oblige à répéter quinze heures par jour, lui-même travaille sa technique le reste du temps, il ne dort jamais, etc..

Celui qui se posait et que l'on considérait comme un gêneur, dans la danse des humeurs lénifiantes, devient l'ennemi, et pour la pire des raisons. C'est un fasciste. Plus de musique...

30 - Paganotti et Christian à la recherche de Schubert. Photo xL'ensemble de ce livre aura permis, nous l'espérons, d'approcher de plus près le mode d'existence de Vander et de ses musiciens, et des attitudes comme celle que nous venons de décrire sembleront peut-être plus compréhensibles à un grand nombre. Aucune paix n'est maintenant et ici possible pour Vander, et ceux qui se leurrent en voulant y croire obstruent son délire. Réveiller les esprits de l'engourdissement, c'est, dans cette mesure, leur refuser l'illusion de la moindre accalmie. Et avoir donc à lutter encore contre les réactions à cette agression. Mais si, comme on voudrait le faire croire, l'humour a ses limites, s'il faut arrêter les larmes de la détresse du rire à certaines bornes "convenables", nous pensons qu'il reste à répondre à une question de la première importance. Qui cherche-t-"on" à éliminer, et quel démon veut-on encore exorciser, sous couvert de conformité morale ? On commence a voir aujourd'hui où mènent les accusations que profère une société à l'égard de la folie, de la déviance à la ligne, du dérèglement de l'esprit et des sens. Et une certitude demeure : quand cette même société essaie de se débarrasser de ceux qui font saigner ses plaies qu'elle prétend mal cicatrisées, ses tares indissimulables au moindre regard lucide, alors cette société retrouve les fondements de totalitarisme qui la sous tendent en permanence, et contre lesquels s'élèvent et s'élèveront toujours les cris déchirés, les cris d'humour mortel, les cris de dérision définitive que sont ceux d'un groupe comme Magma.


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