Vander,
de son côté, réagit différemment (!). Au
lieu de tenter de calmer le malentendu quelque peu sommaire, il se lance
dans une série de déclarations, provocations et actes
directs. Les musiciens, les critiques, les politiciens sont somptueusement
arrosés d'une pluie de mépris, de propos ulcérés
qui activent la flamme du mythe naissant. Dandy nocturne, on le voit
errer de temps à autre au Gibus, en manteau de cuir noir, bottes
brillantes, sigle sur la poitrine et cravache en main. Au même
endroit, un soir où les gens discutent de la paix prochaine,
il bondit sur une table et se met à insulter l'assistance. Plus
calme à l'issue d'un concert pour la Ligue communiste, il engage
avec quelques spectateurs une discussion plus pondérée
à propos de cet épineux problème. Il est sur le
point de les convaincre quand Stundëhr passe derrière lui
et brandit le bras en saluant : "Heil Hitler." Des apparitions
de cet acabit, commentées de bouche à oreille, propagent
bientôt une légende où les bruits les plus inouïs
font figure de réalité scandaleuse. On apprendra ainsi
qu'il aurait assisté au mariage de l'un de ses musiciens de descendance
israélite, vêtu d'un uniforme nazi complet. Le travail
dans l'ombre des musiciens est l'objet de colportages ahurissants :
"Il" les oblige à répéter quinze heures
par jour, lui-même travaille sa technique le reste du temps, il
ne dort jamais, etc..
Celui qui
se posait et que l'on considérait comme un gêneur, dans
la danse des humeurs lénifiantes, devient l'ennemi, et pour la
pire des raisons. C'est un fasciste. Plus de musique...
L'ensemble
de ce livre aura permis, nous l'espérons, d'approcher de plus
près le mode d'existence de Vander et de ses musiciens, et des
attitudes comme celle que nous venons de décrire sembleront peut-être
plus compréhensibles à un grand nombre. Aucune paix n'est
maintenant et ici possible pour Vander, et ceux qui se leurrent en voulant
y croire obstruent son délire. Réveiller les esprits de
l'engourdissement, c'est, dans cette mesure, leur refuser l'illusion
de la moindre accalmie. Et avoir donc à lutter encore contre
les réactions à cette agression. Mais si, comme on voudrait
le faire croire, l'humour a ses limites, s'il faut arrêter les
larmes de la détresse du rire à certaines bornes "convenables",
nous pensons qu'il reste à répondre à une question
de la première importance. Qui cherche-t-"on" à
éliminer, et quel démon veut-on encore exorciser, sous
couvert de conformité morale ? On commence a voir aujourd'hui
où mènent les accusations que profère une société
à l'égard de la folie, de la déviance à
la ligne, du dérèglement de l'esprit et des sens. Et une
certitude demeure : quand cette même société essaie
de se débarrasser de ceux qui font saigner ses plaies qu'elle
prétend mal cicatrisées, ses tares indissimulables au
moindre regard lucide, alors cette société retrouve les
fondements de totalitarisme qui la sous tendent en permanence, et contre
lesquels s'élèvent et s'élèveront toujours
les cris déchirés, les cris d'humour mortel, les cris
de dérision définitive que sont ceux d'un groupe comme
Magma.
|